03
MAI 18

La fille qui faisait des vidéos

On se balade sur le chemin des chèvres à cet instant où le soleil se couche et où les gens ont souvent des angoisses crépusculaires. Et puis tu me racontes que t'as regardé la vidéo d'une fille qui fait des vidéos sur LinkedIn. Elle est coach ou magicienne, clown ou marionnettiste, tu ne sais plus trop. D'habitude, tu passes ton chemin mais, là, sa vidéo t'a bien accrochée parce qu'elle commençait par parler d'un homme qui accoste une fille dans un bar.

– J'ai envie de coucher avec vous, disait le gars à la fille. 

Très direct donc, commentait la coach ou la magicienne. Sauf que l'homme est clairement un prédateur et la fille du bar une proie. Moi, à ce moment-là je pense à un film de Tarantino, "Boulevard de la mort". C'est avec un ancien cascadeur qui sillonne les routes des Etats-Unis dans sa Chevrolet Nova et qui accoste aussi des filles dans les bars.

Mais dans sa vidéo la fille voulait surtout montrer tout ce qu'il ne faut pas faire sur Linkedin. Et donc, ensuite, elle donnait plein de conseils pour s'y prendre autrement. Oui, commencer plutôt à papoter, à faire des chichis – là, tu t'arrêtes un instant sur le chemin et tu fais un peu comme la magicienne dans sa vidéo –, essayer aussi de s'intéresser à l'autre, etc. C'est vrai que sur LinkedIn, les gens font beaucoup ça, déjà. Ils brandissent les accords toltèques, genre « Que ta parole soit impeccable ! », « Ne fais aucune supposition ! », etc. Ils en font des tonnes avec ça comme s'ils sentaient bien qu'au fond d'eux-mêmes c'est tout le contraire. Peut-être que ça les calme un instant.

Bref. T'as quand même regardé la vidéo de la fille jusqu'au bout et visiblement elle n'avait pas trop conscience qu'avec tous ses stratagèmes, ça restait la même chose que dans le bar. Que ça pouvait bien finir au lit.

Dans "Boulevard de la mort", ça finit très mal comme toujours avec Tarantino, parce que le cascadeur est aussi un psychopathe qui emmène les filles dans sa Chevrolet Nova et qui les tue par accident, enfin en faisant des cascades.
Et j'ai pensé que si la coach avait choisi cette métaphore-là, c'est qu'elle avait aussi un petit côté chasseuse mine de rien. Elle avait peut-être aussi envie d'être une proie. Tout ça plus ou moins consciemment, dans un sens ou dans l'autre. Mais c'est peut-être juste hystérique aussi, et alors sa mise en scène, en apparence érotique, pouvait cacher un besoin sur le versant tendre.

– Et qu'est-ce que tu ferais, toi ? je te demande.

Parce que toi aussi tu fais des vidéos maintenant. Ça faisait longtemps que je te proposais ça, je voulais toujours t'interviewer en mode caméra au poing, mais tu disais non. Tu redoutais peut-être que je sois chasseur d'images et toi mon objet. Et donc aujourd'hui tu fais ça toute seule. Enfin avec Snow. Et des fois on tourne ensemble aussi.
Bref. Là, tu me dis que toi tu essaierais de montrer que dans la vraie vie comme dans ce réseau-là, les gens sont souvent dans des relations de prédation, mine de rien. Certes c'est très excitant pour le chasseur comme pour la proie parce que ça répète des relations d'emprise, originelles, familières, dans un sens comme dans l'autre. Mais il en faut toujours plus et tout ça reste stérile 
au bout du compte. Et puis tu as parlé des enfants qui jouent au petit chaperon rouge et au loup – je n'avais pas imaginé qu'on pouvait jouer à ça –, et quand ils jouent comme ça les enfants ne sont pas dupes au fond. Non, ce qu'ils recherchent c'est le plaisir de jouer sans jamais vraiment s'enfermer dans un rôle.

– Et si tu veux, je te filmerais, je t'interviewerais, tu me dis.
Parce que moi aussi je me lance dans les vidéos. Et alors je te dis oui.

***

"Erotips" : la chaîne d'Eva sur YouTube. C'est comme des pastilles ou des capsules qui prolongent le livre "Érotiser l'entreprise - Pour des rapports professionnels sans complexes".

"Digital & Mammifère" : ce sont des instants vagabonds sur des idées qui me passent par la tête.


En photo : sur le chemin des chèvres, il y a aussi des moutons.