27
OCT 10

Saveurs d'enfance

Elle se sent souvent démunie devant celui qu'elle accompagne. Elle n'a pas encore appris à écouter entre les mots et les regards, entre les gestes et les silences, le manque et le besoin de tendresse. Ni au fond d'elle-même ni en l'autre. Ni à l'école du coaching ni ailleurs.
Alors, lui, de séance en séance, comme pour l'initier, apporte ici des morceaux oubliés de son histoire. Et aussi son doudou, parfois. C'est un nounours, éclopé, râpé, retrouvé dans la maison de son enfance.

Aujourd'hui, il l'a laissé là, sur le sofa, entre les coussins de velours. Odeurs de grenier et saveurs d'enfance dans le pelage usé. Alors, elle le met à tremper dans l'eau de Javel.

*

Il n'est pas venu la fois suivante. Il n'est revenu ni après ni jamais. Un jour, elle l'a appelé, lui a laissé un message, puis un autre. Elle voulait seulement lui rendre le nounours de son enfance. Aujourd'hui, elle lui écrit des mots et des lettres. Sans retour hélas. Sa voix et sa douceur lui manquent. Et chaque nuit, elle s'endort avec le doudou, lavé, aseptisé.

*

« Je sais si peu de choses de toi. Dis-moi, raconte-moi, quelle enfant étais-tu ? » Elle se réveille soudain. En nage. C'est comme si l'ours, là, tout contre elle, avait chuchoté ces mots à son oreille.
Sa question la chamboule. Elle a perdu un à un les souvenirs de son enfance. Elle ne garde d'alors que la sensation de tristesse. Et d'un danger imminent rôdant alentours. Une menace sourde et muette.
Ce n'est pas d'anamour dont elle est blessée, c'est de cette violence suspendue. C'est comme une brûlure profonde, invisible, sur toute sa peau. Il est des choses dont on ne peut jamais parler. Ni à soi ni aux autres. Elle se souvient de ses dessins étranges à l'école. Des dessins au feutre noir. Elle posait avec soin des pansements sur des visages blessés. Des visages d'enfants. Et parfois aussi elle dessinait des animaux fabuleux, libellules géantes ou licornes noires pour partir loin.

*

Ses nuits sont agitées, tourmentées. Son sommeil est haché. Ses rêves, tragiques ou érotiques, la réveillent en sursaut, juste avant la chute. Chute heureuse ou malheureuse ?
C'est comme un état de guerre au dedans d'elle. Elle a essayé la masseuse aux doigts de fée, rue Gît-le-Cœur. Mais cet art savant des caresses n'a d'effets sur elle qu'un instant.
Alors elle est allée s'allonger sur le sofa du philosophe :
- Les lapins aussi vivent ainsi, lui dit-il. Proies faciles, ils restent aux aguets à tout instant.
- Comment guérir alors ?
- Un lapin ne cherche pas à guérir de son moi-lapin. Il aime se blottir, s'abandonner, un instant ou plus, au cœur de son terrier.

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