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JUN 09

Une bouteille à la mare

Ingrédients (pour un, deux, trois, quatre coachs ou plus) :
• Une bouteille transparente (1,5 litre)
• De l'eau du fond d'une mare.

Préparation :
• Remplir la bouteille de l'eau prélevée au fond de la mare
• Fermer et bien agiter
• Poser la bouteille devant le groupe
• Observer, écouter, ressentir, en silence...

C'est l'une des étranges "recettes" découvertes dans mon lieu de supervision.
Plusieurs mois après l'expérience, les sensations sont encore présentes. Comme une empreinte initiatique et aussi un voyage intérieur qui devient possible quand ça s'agite
ou quand c'est triste en moi. Et aussi lorsqu'un client arrive en séance dans une confusion contagieuse.
 
Au début de l'expérience, devant la mystérieuse et sombre mixture, mes pensées vagabondent, les questions se télescopent. Comme les particules de boue mélangées à cette eau trouble.
Du sable se dépose doucement au fond de la bouteille. Je prends conscience du silence autour de moi. Soudain la cloche d'une église égraine les heures au loin. J'entends battre mon cœur. Le battement régulier va jusqu'au bout de mes doigts. Je sens la chaleur au creux de mes paumes.
L'eau dans le haut de la bouteille est presque transparente maintenant. Mes pensées défilent moins vite. Je crois reconnaître le parfum de celle qui est assise à côté de moi. Chaque pensée est comme un train qui passe devant moi, que je peux prendre ou pas.
L'eau s'éclaircit encore. Je perçois mon souffle. L'expire qui soulève mon ventre. Puis l'inspire qui le creuse, naturellement. Cette respiration est celle des bébés, je crois.
J'aime contempler cette femme silencieuse qui, quelques minutes plus tôt, a posé l'étrange bouteille devant nous. Il y a comme des traces d'enfance sur son visage. Elle dit que « c'est notre corps qui nous donne l'heure juste. Nos pensées agitées nous donnent l'heure de nos blessures passées ou de nos fantasmes. »
Après quelques heures, l'eau est devenue aussi claire que celle d'une rivière.

Souvent, nous nous agitons comme l'eau de cette mare secouée dans la bouteille. Alors la rencontre est impossible. La rencontre avec soi, la rencontre avec l'autre.
Ce sont nos histoires passées, nos quêtes illusoires, nos peurs et notre ego qui nous agitent ainsi. Avec le culte de l'action et de l'urgence, le mythe de toute-puissance, l'entreprise est aussi un haut lieu d'agitation.
A la fin d'une séance, cette semaine, un dirigeant me dit : « C'est comme si j'avais marché deux longues heures en forêt. »

Ainsi, pouvons-nous créer des espaces propices à la rencontre, à la co-création, sur le mode de l'émergence sereine, du vide fertile, plutôt que des tempêtes de cerveau
du brain storming.

 
Lire aussi : Le sumo qui ne pouvait pas grossir, Eric-Emmanuel Schmitt, Editions Albin Michel.

Extraits : « Tu penses trop car tu interposes de la pensée entre le monde et toi ; tu bavardes plutôt que tu n'observes ; tu projettes des idées préconçues davantage que tu ne saisis les phénomènes [...] C'est toi qui appauvris ta perception parce que tu n'y vois que ce que tu y mets : tes préjugés. [...]
Tu ne penses pas assez car tu colportes, tu répètes, tu ressasses des lieux communs, des opinions vulgaires que tu prends pour des vérités, faute de les analyser. Un perroquet prisonnier dans une cage à préjugés. »
« Si ce que tu dis n'est pas plus beau que le silence, alors tais-toi ».