Saison rousse. Un peintre poète se cache dans le feuillage des châtaigniers, des acacias et des chênes posés là depuis longtemps, le long de l'autoroute. Il y a dans l'air la douceur des lèvres d'une femme juste avant le premier baiser. Et soudain, devant moi, le camion pile et zigzague un instant.
Elle se sent souvent démunie devant celui qu'elle accompagne. Elle n'a pas encore appris à écouter entre les mots et les regards, entre les gestes et les silences, le manque et le besoin de tendresse. Ni au fond d'elle-même ni en l'autre. Ni à l'école du coaching ni ailleurs.
Alors, lui, de séance en séance, comme pour l'initier, apporte ici des morceaux oubliés de son histoire. Et aussi son doudou, parfois. C'est un nounours, éclopé, râpé, retrouvé dans la maison de son enfance.
Aujourd'hui, il l'a laissé là, sur le sofa, entre les coussins de velours. Odeurs de grenier et saveurs d'enfance dans le pelage usé. Alors, elle le met à tremper dans l'eau de Javel.
*
Elle qui, longtemps, m'a accompagné à travers les labyrinthes secrets de mon histoire et dans les jardins enclos de mon âme est là, au creux du canapé, blottie contre les coussins de feutre et de soie. J'ai aimé l'inviter, entre chien et loup, pour savourer les créations éphémères d'un pâtissier amoureux. Envie de prendre soin d'elle. Elle qui s'abandonne un instant au silence des anges et que j'ai, tour à tour, désirée et détestée, admirée et combattue. Étrange alchimie du transfert qui se dénoue.
*
Elle a la charge d'un vaste territoire. Un millier d'âmes et plus. Elle aime en prendre soin comme jadis une reine amoureuse en son royaume. Et elle vient ici comme elle aime marcher le matin dans la brume et le soir dans les sous-bois. Loin du bruit du monde.
Mais, aujourd'hui, elle se sent chamboulée, désenchantée. Elle me parle de la folie d'une autre femme. Celle qui, là-bas dans sa tour de métal et de verre, abuse parfois de son pouvoir.
Je l'ai posée là sur le tapis de laine blanc. Il faut oser l'approcher et la toucher pour savoir si cette étrange grenouille est de pierre ou de métal. Gargouille tombée d'un clocher médiéval ou création inédite d'un ferronnier d'art amoureux.
C'est aux premières heures du jour qu'elle m'a laissé son message. Chamboulée et inquiète. « Êtes-vous libre aujourd'hui, entre deux séances, à midi ou ce soir ? » Elle est tombée en amour de celui qu'elle aime accompagner. « Passionnément. Éperdument. » Et elle lui a parlé de son désir pour lui. Mais lui n'est pas amoureux. C'est sa tendresse à elle qui le nourrit à chaque séance.
Sur la verrière en pente douce, une colombe dérape, maladroite, puis glisse, élégante. Son toboggan improvisé.
*
Quand il est sorti de prison, il s'est fait jardinier. Jardinier des autoroutes. Et, sur les terre-pleins, au milieu des quatre voies, il sème des roses trémières.
*
« J'ai oublié de vous demander une prescription, une tâche, pour l'entre-séance. Je fais toujours des pas de géant avec vos prescriptions. Pouvez-vous m'en envoyer une, à travers les ondes ? »
« Camille, une prescription surgit dans l'instant. Ni après coup, ni sur commande. Mais, une fois n'est pas coutume, en voici une pour vous : savourez le plaisir d'être là où vous êtes, dans l'instant, sans rien faire, sans faire un pas, ni de géant ni de fourmi. Puis, observez où cela vous porte. »
*
Triangle dramatique au jardin. Je sauve la souris des griffes du chat. In extremis. Elle, affolée, me mord un doigt jusqu'au sang. Et son bourreau ronronne de plaisir.
*