15
JAN 08

Yalom, un conteur au coeur de l'être et de la relation

Le bourreau de l'amour, Et Nietzsche a pleuré, Mensonges sur le divan... Chaque roman d'Irvin D. YALOM me bouleverse, me questionne et me ressource dans ma pratique.
Ce thérapeute et romancier nous bouleverse car il se dévoile sans détours, il nomme ses failles, ses peurs et ses désirs, il nous raconte comment il chemine avec chaque client au cœur des pressions existentielles : la liberté, la solitude, la peur de la mort, la quête de sens...
Yalom est venu en France cet automne. Le magazine Psychologies lui a consacré un bel article dans son numéro de décembre. L'événement réunissait ses lecteurs, des philosophes, des psychanalyses et aussi des thérapeutes gestaltistes car la gestalt prend ses sources dans la philosophie existentielle.
Yalom anime chaque conférence comme il écrit ses romans, comme un conteur. Plonger au cœur de séances réelles est sa manière de montrer que "le
cœur" de la thérapie c'est la relation entre le client et son thérapeute.
Yalom est une source d'inspiration vivifiante pour les coachs qui aiment aussi aller par-delà les outils, co-créer avec chaque client...

La conférence a été enregistrée. En voici un extrait que je mets en forme ici. C'est une séance en écho à « Comment les questions existentielles arrivent-elles au cours d'une thérapie ? Et comment vous travaillez avec ces questions pour faire progresser le patient ? ».
Yalom chemine ici avec un autre thérapeute, mais il ne parle ni de cadre de référence, ni d'outils ! Il partage simplement à parité avec son confrère sur le besoin de fusion, son désir pour une cliente, l'angoisse de la mort, le "job d'un parent" face à cette angoisse...
Il apporte aussi des éclairages sur son travail dans l'ici et maintenant, sur l'expérimentation et comment, pour devenir thérapeute (ou coach !), "il faut vraiment que nous allions écouter ces chiens sauvages qui hurlent dans notre cave".

Irvin D. Yalom : « [...] j'ai envie de vous raconter des histoires, je veux répondre à la question de Pascale en vous parlant d'une séance de psychothérapie.
Je vais vous parler d'un patient qui s'appelle Marc ; bien évidemment j'ai déguisé le nom de tous mes patients et j'ai leur approbation pour parler du contenu de cette séance.
Marc était un psychothérapeute, et je le suivais depuis deux ans. Il avait quarante ans. Il est venu pour la thérapie parce qu'il avait de grandes angoisses autour de la mort, et un deuil non résolu autour de sa sœur qui était décédée quelques années plus tôt. Son angoisse de mort décroissait beaucoup, mais les derniers mois, il a commencé à avoir une fascination sexuelle pour l'une de ses patientes, dont le nom était Ruth. Donc, je vais vous parler de cette séance avec lui où j'ai commencé par faire une annonce :
- Bon, voilà Marc, je t'ai envoyé un client pour une de tes séances de thérapie de groupe. S'il t'appelle, appelle-moi, et je te donnerais d'autres informations.
Je vous dirais un mot sur référez un malade à vos patients, c'est spécial.
Donc Marc fait merci de la tête, et dit :
- Où est-ce que l'on commence aujourd'hui ? Moi, toujours la même chose. En fait, voilà, tandis que je conduisais pour venir à ma séance, j'ai commencé a pensé à Ruth.
Ruth c'est la patiente dont il est amoureux. Marc poursuit :
- C'est difficile de la sortir de ma tête. Hier soir, je suis sorti avec d'anciens copains du collège et, en fait, on a passé notre temps à nous remémorer nos sorties avec les filles. Et alors j'ai commencé à penser à Ruth et mon cœur a saigné pour elle. Et oui, je sais c'est stupide !
Et alors je lui dis :
- Bon ben dis moi un petit peu, c'est quoi penser à elle ? Qu'est-ce qui se passe dans ta tête, quand tu penses à elle ?
- Oh c'est un sentiment stupide, où j'ai des étoiles dans les yeux, je me sens si stupide, alors que je suis un adulte, j'ai quarante ans, je suis un psychologue, elle est ma patiente, je sais qu'il n'y aura pas de suivi et que l'on ne va pas consommer.
Alors je lui dis :
- Commence avec ce sentiment tout plein d'étoiles. Plonge dedans et dis-moi qu'est-ce qui te vient à l'idée.
Il ferme les yeux :
- Légèreté ! C'est comme si je volais dans les airs, aucune pensée pour ma sœur morte, aucune pensée pour la mort. Tout à coup, il me vient un flash, et je me vois assis sur les genoux de ma mère et elle me fait des câlins, peut-être j'ai cinq ou six ans avant qu'elle ne soit atteinte d'un cancer
Sa mère a eu le cancer à peu près pendant dix ans avant de mourir.

 

- Et quand ce sentiment tout romantique arrive, alors la mort disparaît. Et alors toutes les pensées également autour de la mort de votre sœur disparaissent. A nouveau, vous êtes un jeune garçon tenu par votre mère avant qu'elle est eu le cancer.
- Oui, oui, j'ai jamais pensé à cela, de cette façon là.
- Je pense que ce sentiment tout plein d'étoiles dans les yeux, c'est l'extase de la fusion, c'est le sentiment du moi solitaire qui se dissout dans le nous. Et l'autre facteur, ici, c'est le sexe. La sexualité est une vitalité tellement forte, que cela peut repousser la mort de votre esprit. Et donc ta fascination amoureuse pour Ruth, en fait, combat ton sentiment de mort de deux façons, c'est pas étonnant que tu t'y attaches aussi fortement.
- Oui j'ai eu une bonne semaine en fait, mais sans cesse j'avais des idées de la mort qui me revenaient.
J'ai emmené ma fille à moto, on a été à Santa-Cruz, une ville merveilleuse en Californie. C'était une journée absolument merveilleuse, mais en fait la pensée de la mort n'arrêtait pas de m'obséder. Et je me disais sans cesse, encore combien de fois est-ce que tu vas pouvoir faire cela ? Tout passe, je vieillis, ma fille vieillit.
Ces pensées autour de la mort, on va les analyser, on va les disséquer. Je sais que les pensées de mort vous submergent, mais je vais vous poser une question spécifique. Quelle est la chose la plus effrayante au sujet de la mort ? Mais c'est une question que j'ai posé à tant de patients pour aller voir leur peur de la mort. Marc me répond :
- Je pense que c'est la douleur, enfin au moment de la mort, parce que ma mère à tellement souffert, non, non, c'est pas vraiment cela en fait. Essentiellement c'est la peur de la façon dont ma fille va gérer cela. En fait je pleure pratiquement, quand je m'imagine comment elle va sentir et ressentir ma mort.
- Tu sais Marc, en fait je pense que tu as été trop exposé à la mort. Trop et trop tôt. Ta mère est morte quand tu étais un enfant, et tu as vécu avec elle mourante pendant dix ans et sans père. Mais ta fille a une mère en pleine santé et elle a un père qui l'emmène en moto, un père qui est présent de toutes les façons possibles. Marc, je pense que tu mets ton expérience chez ta fille. En fait, je pense que tu projettes tes peurs et ta façon de voir les choses dans sa tête à elle.
Marc dodeline de la tête, il y pense et puis il dit :
- Hep ! Hum ! Ah ! Je vais te poser une question. Comment toi tu gères cela ? Est-ce que tu n'as pas peur de la mort toi ?
- Oh ! Des fois je me réveille à trois heure du matin, et effectivement j'ai des frayeurs de mourir, mais c'est moins souvent maintenant. Tandis que je vieillis. De regarder la mort cela peut faire en fait des choses positives. Je sens quelque chose de plus poignant dans ma vie. Cela me fait vivre dans chaque instant. Cela me fait valoriser chaque instant et le plaisir d'être vivant.
- Et tes enfants, tu ne t'inquiètes pas de leur réponse à ta mort ?
- Non, non, je ne m'inquiète pas beaucoup de cela. Je pense que le job d'un parent, c'est de rendre leur enfant autonome, de grandir et de quitter leurs parents. Mes enfants sont ok dans ce champ là. Ils traverseront le deuil et il continueront leur vie, tout comme votre fille.
Marc dit :
- Ok oui je sais dans ma tête rationnellement, je sais qu'elle se débrouillera bien. En fait j'ai eu une idée tout récemment, je pense que je pourrais concevoir un modèle qu'elle pourrait suivre face à la mort.
- Ah ! C'est une super idée. C'est un beau cadeau pour ta fille. J'ai, dans beaucoup de mes groupes de thérapie, les malades atteints de cancer qui ont la même idée. Je pense que c'est une belle façon de mettre du sens sur la fin de la vie.
A ce moment là, j'ai décidé de revenir à l'ici et maintenant :
- Marc, je vais te demander quelque chose au sujet de toi et moi aujourd'hui. Cette séance a été différente, plus que dans d'autres séances tu m'as posé des questions au lourd sujet, et j'essaie d'y répondre, et dis moi Marc c'était comment pour toi ça ?
- Oh c'est bon ! C'est très bon à chaque fois que toi tu t'ouvres à moi, je me dis qu'il s'agirait peut-être que je sois plus ouvert dans mes séances de thérapie aussi.
- Il y a autre chose, que je veux te demander Marc au sujet de notre session, c'est quelque chose que tu m'as dit au début de la séance. Tu as commencé ta séance en disant aujourd'hui : "comme d'habitude". Comme d'habitude, tu as pensé à Ruth en route venant chez moi. Comment tu expliques cela ? Comment cela se fait que tu penses toujours à elle quand tu viens à mon bureau ?
Marc hoche de la tête et je poursuis :
- Peut-être que c'est un soulagement par rapport au travail difficile que tu vas avoir ici avec moi.
- Non c'est pas cela du tout. Je vais te dire ce que c'est.
Marc fait une pose comme s'il recherchait son courage, puis :
- Voilà la question en fait, c'est comment tu me juges, en tant que thérapeute, par rapport à l'épisode de Ruth ?
- A nouveau une question vers moi ?
Je lui dis :
- Oui j'ai de l'empathie pour toi Marc. J'ai aussi été séduit sexuellement par mes patientes, comme tout autre thérapeute. Cela ne fait aucun doute, que tu as été trop consumé par ce sentiment. Mais la sexualité a une certaine façon d'annihiler la raison. Peut-être, d'une certaine façon, notre travail ensemble t'empêche d'aller plus loin. Tu peux retirer la contrainte de tes pensées, parce que tu savais que tu m'avais là comme filet de sécurité, chaque semaine. Est-ce que tu ne me juges pas pour incompétence ? Mais je me dis, comment tu expliques que je t'ai envoyé un client ce matin ?
- Ouais ! T'as raison. Faut que je laisse rentrer ça dans ma tête. C'est un message très fort en fait, et je me sens tellement réconforté par ce geste, que je peux à peine l'exprimer. Et pourtant il y a une petite voix dans ma tête qui me dit : mais tu dois penser que je suis une vraie merde.
- Non, non, il est temps que tu appuis sur le bouton "supprimer" sur cette pensée ? Ok, il n'y a plus de temps là, mais je pense que j'ai envie de te dire que le voyage que nous faisons ensemble, cette expérience avec Ruth
n'est pas complètement mauvaise. (Rappelez-vous, en fait cette expérience n'est que dans son fantasme, parce qu'il n'y a pas de passage à l'acte). Je pense que tu vas grandir et apprendre de ce qui s'est passé.
Nietzsche à un moment a dit, vous savez je cite toujours Nietzsche, Nietzsche a dit que pour nous assagir, il faut qu'on aille écouter les chiens qui hurlent dans notre cave. Et donc cela est revenu chez lui, ça l'a frappé et il a répété ces mots là tout bas pour lui, en quittant mon bureau.

Encore quelques mots autour de cette séance.
Tout d'abord, il y a ce passage où je le ramène dans l'ici et maintenant. La thérapie est une séquence qui alterne une action qui se passe et ensuite il y a une réflexion sur cette action. Donc on agit et ensuite je lui demande : tiens, si on regardait sur ce qui c'est passé là aujourd'hui ?
Je pense que Nietzsche et ses écrits ont eu beaucoup de valeur pour les gens que j'ai rencontrés. Pour devenir thérapeute, il faut vraiment que nous allions écouter ces chiens sauvages qui hurlent dans notre cave, et que nous allions voir ces endroits sombres.

Il y a une autre affirmation qui était importante là avec Marc, c'est "le Moi solitaire qui se dissout dans le Nous". C'est vraiment la source en fait, du sentiment de joie que nous avons dans nos relations amoureuses.

Encore quelque chose que je veux partager : la question de la mort et de la sexualité.
Il y a une relation bizarre entre les deux. Très souvent l'angoisse de mort est soulagée par un sentiment accru de sensualité. J'ai demandé à Marc : "Qu'est ce qu'il y a sujet de la mort qui te gène tout particulièrement ?" Je sais que cela à l'air d'une question stupide, mais les malades donnent des réponses très différentes à cela. Et les différences que vous donnent les patients vont vous permettre de vous orienter, et c'est soulageant de pouvoir partager quelque chose autour de la mort.

Et la dernière chose que je voudrais dire, et cela j'en discute dans mon livre : "Le don de la thérapie", c'est qu'une action, une expérimentation thérapeutique est beaucoup plus forte que des paroles thérapeutiques. Très souvent si vous demandez au patient, ce qui l'a marqué après son travail, très souvent c'est quelque chose, qui c'est produit en dehors de la thérapie stricto sensu. La meilleur réponse que je pouvais lui donner par rapport à son sentiment d'être une merde pour moi, c'était de lui rappeler, que je lui avais référé un patient ce jour là. Avant de lui avoir envoyé ce patient, en fait je l'avais supervisé lui, pour sa thérapie de groupe. Et je savais bien que c'était un thérapeute très efficace, et donc je ne me préoccupais pas pour ça.
»

 

Pour en savoir plus :
Le texte et le retour des conférences co-organisées par Psychologies Magazine et l'Ecole Parisienne de Gestalt. Lire en particulier le début de la conférence sur "le don de la thérapie".
Des livres de Yalom à lire et offrir sans modération : Editions Galaade.