Je partage depuis quelques semaines, ici et là, le plaisir de plonger dans un livre étonnant : Lettres à une jeune psychanalyste de Heitor O'Dwyer de Macedo (publié chez Stock, collection l'autre pensée).
Etonnant et même "révolutionnaire" nous dit la quatrième de couverture !
Révolutionnaire car l'auteur, brésilien, appartient à cette génération contrainte à l'exil, après le coup d'État militaire en 1964 au Brésil.
A cette époque, dans la cité latino-américaine, la pensée était la seule arme face à la dictature et la brutalité. Il n'y avait alors « pas de différence entre la psychanalyse, le courage et la nécessité de penser, l'exigence de créativité maximale et l'engagement permanent dans le monde. »
Révolutionnaire aussi quand l'auteur postule que l'amitié est le ressort de la relation entre le psy et son patient, le ressort et le support du transfert : « L'éthique de la psychanalyse et l'éthique de l'amitié sont la même chose. »
C'est aussi l'amitié qui relie l'auteur de ces lettres à la jeune psychanalyste, son élève qui le bouscule dans ses habitudes, ses modes de pensée. Lui aussi la "bouscule" ! Comme deux compagnons qui cheminent et partagent passionnément leurs théories, leurs questions et leurs pratiques.
L'amitié est aussi présente lorsque l'auteur parle de ses maîtres : Françoise Dolto, Gisela Pankow, Victor Smirnoff... Il leur rend ici hommage et nous transmet un peu de leur pratique passionnée et vivifiante.
Certaines lettres sont didactiques, parfois ardues, réservées alors aux initiés ou aux coachs qui n'ont pas peur de leur ombre de la psychanalyse comme une source féconde pour notre métier.
Voici le début d'une lettre qui vous donnera peut-être envie de visiter l'atelier de cet artisan amoureux de son art et qui partage sa passion pour « toutes les fragilités délicates qui constituent une existence humaine. »
L'homme était soulagé et déçu. Je pouvais deviner le soulagement par l'accalmie que je ressentais en lui après mes paroles. L'accalmie et la fatigue. Une immense fatigue prenait la place d'une tension psychique infernale. Dans l'émotion qui était la mienne, j'étais très content pour lui de sa fatigue. Parce que, la fatigue, c'est le corps qui reprend ses droits dans le moment présent. Une présence au temps présent, aussi courte soit-elle, repose.
Pour lui, consciemment, ce qui dominait c'était la déception. Il avait eu le fol espoir qu'on puisse le guérir de cet abandon, de cette béance. En fait, il a eu le fol espoir qu'on puisse le guérir de la vie. Et, en même temps, évidemment, il savait cela impossible. Mais, a-t-il dû se dire, pourquoi ne pas tenter sa chance, peut-être trouverait-il un psychopathologue pour convenir que toute souffrance n'était pas bien du tout, qu'il fallait supprimer, comme un kyste, au besoin à coups d'antidépresseurs, pour que la bonne humeur revienne et que « ça » reparte. Le bénéfice avec un tel personnage redoutable aurait été la haine. Ou plutôt : un endroit où poser sa haine abstraite contre le destin, où le dramatiser. L'inconscient ne se trompe jamais et notre ami, qui était capable de reconnaître que ce qu'il éprouvait était ce qu'il avait à vivre, n'aurait pas méconnu l'imposture – ce qui ne l'aurait peut-être pas empêché" de s'en servir un temps, comme un répit, un placebo contre la solitude, pour l'illusion d'être moins seul.
L'attitude de bon sens, donc la plus simple et, parce que la plus simple, la plus difficile, la plus complexe, est celle proposée par Winnicott : la promesse d'être là, l'affirmation catégorique qu'il est possible d'être seul en présence d'un autre, d'être seul avec quelqu'un d'autre. […] »
Quelques lettres plus loin, un autre extrait sous la forme d'une histoire à propos de cet homme, de la clôture de l'analyse, de l'angoisse :
« Cela faisait déjà plusieurs mois que nous nous rencontrions. La vie avait repris ses droits, la douleur était moins vive, des projets avaient repris corps. Je lui demande, alors, ce qui le fait encore venir. A mon grand étonnement il me répond : « Je partirai quand je ne sentirai plus aucune angoisse. »
Comme il était bon connaisseur de la Bible, je lui ai inventé l'histoire suivante – dont je me suis servi souvent après :
« Lorsque Dieu a fini de créer le monde il a voulu se reposer. Peine perdue, il était insomniaque, et on le comprend. Rapidement, puisqu'il était Dieu, il se rend compte que c'est l'angoisse qui l'empêche de dormir. Et alors, pour en finir avec son insomnie divine, il a une idée non moins divine : il décide de partager son angoisse avec tous les hommes à venir. Chose pensée chose faite, et il a pu trouver sommeil et rêve. L'angoisse est donc la part divine de l'homme. C'est pourquoi, au lieu de la combattre, on doit apprendre à recevoir cette invitée prestigieuse, à faire bon usage de sa présence. »
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