07
MAI 17

Et toujours elle m'écrivait

Et toujours elle m'écrivait. Le titre de ce livre reste longtemps comme une énigme au fil de ses pages. Oui, qui est celle qui écrivait, toujours ? Et comme il s'agit d'histoires d'enfance, enfin de psychanalyse, c'est aussi un peu comme une devinette. Si vous avez déjà voyagé sur un divan, cette devinette-là est facile puisque c'est une femme et souvent il n'y en a qu'une qui, attachante ou attachée, débordante ou manquée, se rappelle à soi. Les autres ne sont alors que des répétitions, plus ou moins déguisées.

La trame du livre est aussi celle d'une énigme à la recherche du secret des origines, de la "scène primitive". C'est un récit de divan donc et, ces récits de voyages sont plutôt rares car il y a la règle d'airain qui veut que jamais rien ne sorte du cabinet du psy. Mais ici même le psy met à mal tout ça. Oui, après une première tranche avec "une cerbère mutique" et puis une autre avec Pierre Fedida, "un psy qui ressemblait à Einstein", Philippe Grimbert, le troisième analyste de l'auteur, qui est aussi écrivain (Un secret, La mauvaise rencontre) se glisse entre les pages de son ancien patient. Il en ponctue le récit, par petites touches, interprète, suggère des liens, souligne le sens caché des mots (imper, pater). Comme en analyse aussi.
Et si la règle est enfreinte ici c'est parce que Grimbert "aime ce qui n’est pas orthodoxe [
] et que la psychanalyse a besoin d'être démythifiée, comme tout ce qui inspire une terreur sacrée." (*)

Et j'ai aimé ce livre-là pour tout ça : le récit comme une enquête policière tout au long des années, les voyages à travers l'histoire familiale et les névroses, la mise au jour de ce qui ne se dit pas, et tout le maillage de la psyché, les lignes du psy en contrepoint et sans jargon, les liens entre psychanalyse et écriture, les séances avec Pierre Fedida 

J'ai beaucoup aimé, même si ça finit un peu en accéléré avec la dernière tranche et une technologie qui fait Bzibzi Beeep Beeep que Grimbert, dans un acte manqué, voudrait écrire MERD ! Oui, ça s'accélère, ça semble forcer des liens mais c'est sans doute parce qu'au fil des années, l'inconscient avait été retourné, de fond en comble. 

Extraits :

❝ Celui qui a compris grâce à la psychanalyse de quels liens symboliques il était le jouet, de quel arbre il était le rejeton et de quel héritage inconscient il fut si longtemps porteur, celui-là même éprouve cependant quelque difficulté à décrire les chemins empruntés pour y parvenir. Relater les moments cruciaux dont ce parcours psychanalytique fut émaillé n'est pas aisé; chemins tortueux, chemins de traverse souvent, c'est pourtant un passionnant périple qui l'a conduit à cette prise de conscience, seule à pouvoir lui fournir les outils aptes à le libérer des liens dont il était à son insu prisonnier. ❞ Philippe Grimbert - Avant-propos.

« Ce devait être un lundi plus gris et plus triste que d’habitude. L’âme mélancolique, embourbée dans la réalité où je ne trouvais pas ma place. Sans autre désir qu’être à demain. J’étais à deux doigts de la dépression, j’ai choisi l’analyse. » page 33

« Il m'a fallu plusieurs années pour comprendre que le passé et les souvenirs sont une belle matière mais que le récit qu'on en fait sert souvent à masquer la réalité  ; une sorte d'écran qui renvoie une image trompeuse, une explication rapide, construite, et finalement factice . C'est précisément le rôle de l'analyse  que de passer derrière le miroir à la recherche de la vérité. C'est pareil pour les rêves. Il faut s'en méfier. Au réveil, on se demande souvent pourquoi ce rêve si farfelu. Ce n'est pas le plus important. Ce ne sont pas tant les souvenirs ou les rêves qui comptent, mais les mots du rêve. La matière de l'analyse ce sont les mots. » pages 53-54

« C'est après notre mort que notre vie devient un destin, quand nous ne sommes plus là pour en feuilleter les pages. Les forces et les faiblesses de notre trajectoire apparaissent en revanche clairement à ceux qui nous survivent : ce qui nous a soutenus comme ce qui a causé notre perte semble évident, le livre une fois refermé. La psychanalyse nous permet de faire cette lecture de notre vivant et non plus d'en laisser le soin à d'autres après notre disparition : elle nous donne ainsi l'unique opportunité de modifier le cours de notre destinée.
On évoque souvent la fatalité lorsque les choses tournent mal et la sagesse populaire n'a pas tort d'affirmer que « c'était écrit », à ceci près que le texte en question n'était pas gravé dans le marbre mais dans la chair de l'histoire familiale et individuelle. Il s'agit d'un parcours dont nous pouvons infléchir le sens, d'un récit auquel nous pouvons donner un style différent ou dont nous pouvons corriger les épreuves [
] » p. 149

« J'ai su assez tôt que je voulais être psychanalyste, et cela m'est venu de la tragédie grecque ; dans toutes les tragédies classiques, le héros est confronté à son destin, souvent l'héritage du père, le pouvoir, l'amour d'une femme, sous l’œil vigilant du chœur. Mais il y a toujours un moment où se présente à lui l'opportunité de s'échapper. Ce moment-là est passionnant ; c'est cette opportunité que l'analyse doit mettre en lumière pour permettre au patient d'échapper à la fatalité. » Je ne rapporte pas là, mot pour mot, ce qu'il [Pierre Fédida] m'a dit, mais ce que j'ai compris. » Page 151

« Écrire, c'est commencer à faire face. C'est le premier mouvement, la première réaction, le premier souffle. C'est le moment où seul avec soi-même, la page blanche en miroir, on reprend le dessus. On peut effacer, revenir en arrière, analyser, remettre en question. On peut se tromper, bien sûr, mais ni mentir ni tricher. Écrire, c'est un moment de vérité infalsifiable. »

***

Et toujours elle m'écrivait - Jean-Marc SavoyeAvec le regard de Philippe Grimbert - Mars 2017Albin Michel 


(*) Philippe Grimbert : « Allier la parole de l’analysant à celle de l’analysé est une aventure inédite » Interview par Libération