Quand j'ai découvert ça, cette étude étude de l’université de Bangor sur les gens qui parlent tout seul, à voix haute, ça m'a rassuré. Parce que je fais ça aussi des fois. Pas en l'air alors, mais dans mon dictaphone – enfin il y a un magnéto dans mon mobile, alors je fais des notes vocales. Je fais ça sur la route, dans ma Twingo, je branche mes écouteurs et je parle dans le micro. Plus ou moins en roue libre.
Au début, je craignais la maréchaussée parce que, même sans personne au bout du fil, c'est prohibé. Mais j'ai besoin de ça quand je me débats dans un problème tordu, trop alambiqué.
En ce moment par exemple, je suis embarqué dans une sombre affaire d'héritage, avec détournement de la loi successorale et une sorte de fraude fiscale, massive et post-mortem. Enfin, je vois bien que je m'embarque moi-même ici. Outre mesure sans doute. Mais tout ça remue des histoires anciennes. Et faire un audio ça m'aide à imaginer des parades, en particulier lancer le fisc sur l'affaire !
Ça a un effet autocalmant, je trouve. Parce que penser les choses c'est déjà un peu les vivre.
Et il y a d'autres effets que l'étude n'explore pas ici – c'est dommage mais ce n'est sans doute pas donné à tout le monde. Oui, ça permet de se brancher sur une fréquence particulière de l'inconscient : quand la pensée se déplie, alors par instant, la parole bégaye, s'enraye, il y a soudain des trous dans le discours ou des sortes d'affolements... Un peu comme sur le divan d'ailleurs. C'est peut-être le dispositif qui fait ça, l'ambiance ouatée du cockpit, la route qui défile, une forme de transe... C'est peut-être aussi l'expérience du divan par ailleurs. En tout cas, si l'on y prête attention, c'est dans ces fissures, intimes, minuscules, que quelque chose de particulier peut surgir. Alors que les gens aujourd'hui préfèrent le storytelling ou les accords toltèques pour rôder leur discours, raboter toute aspérité et transformer leur vie en une histoire bien ficelée. Ils finissent par y croire d'ailleurs.
Il y a un autre effet encore. Comme personne ne me donne la repartie, ça tourne vite en boucle et la rumination finit par s'épuiser. C'est toute la différence avec l'endophasie, notre voix intérieure.
Un autre exemple. En ce moment, je m'enlise dans un coaching d'entreprise comme si j'étais dans une vasière. Je me démène beaucoup, pendant et après chaque séance. Ça fait longtemps que je n'ai pas vécu ça. Et le type en face, un « leader » tagué par la DRH comme « Hipo », en rajoute pas mal, comme pour me faire tourner en bourrique. Mais c'est moi-même qui fait la bête ici. « Si, au bout du compte, il n'y a pas de résultats ça sera déjà un résultat ! » il m'a lancé dès le début. J'ai pris ça pour moi. Un problème de contre-transfert. Mais je n'en parle pas à mon contrôleur qui ne veut rien savoir de mes affaires de coach.
Alors j'ai déroulé ça en solo, en audio, dans ma Twingo. En fait, c'est un coaching « sous contrainte », je me suis dit, après pas mal de ressassements. Oui, une forme de prescription déguisée. C'est fou, d'habitude je renifle assez vite ce genre de traquenard : une demande de remise « en conformité », une affaire de harcèlement sous contrôle du CHSCT, un coaching de « la dernière chance »... Mais là, avec le coach dans le pack « Dirigeant », mes cartes se sont brouillées. Un HIPO n'a pas besoin d'un coach – sauf comme faire-valoir – et je me suis laissé empapaouter. Enfin je me suis berné moi-même.
Encore un mot. Oui, parce que cette manière de faire semble bien névrotique. Alors j'ai cherché la source. Mais pas en solo cette fois-ci, sur le divan.
– Peut-être qu'ici, je suis votre dictaphone, m'a lancé ma psy.
Elle ramène toujours tout à elle ma psy ; pour ne pas parler en l'air justement. J'ai protesté un instant – un dictaphone c'est toujours inerte – et c'est là que je me suis rappelé mes parents. En duo donc. Avec d'un côté, ma mère qui partait en roue libre, souvent, longtemps ; et face à elle, mon père, plutôt silencieux et passif. Quand il prenait la parole, c'était d'emblée nul et non avenu. Alors il préférait se taire. Un peu comme un dictaphone.
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En photo : Hermione Granger se parle à elle-même, à voix haute. Quelques points clés de l'étude de l’université de Bangor (Pays de Galles). C'est sur Instagram.