Ça pourrait être une nouvelle de l'inconscient. Oui, ça fait tellement longtemps que je fais tout un travail de recherche sur le féminin. Depuis l'origine sans doute. L'origine du monde. Une énigme fondamentale, indéchiffrable, où se mélangent le maternel et le sensuel.
C'est de là sans doute que vient mon goût irrépressible pour l'enquête. La différence des sexes, la traversée de l'Œdipe, tout ça est une affaire d'enquête.
Bref. Ce serait quoi, ce serait comment un monde conçu d'emblée par les femmes ? Façonné et orchestré par elles ? Exclusivement. De bout en bout. Au quotidien, dans la cité, dans les bureaux d'études, les états-majors, les académies, les salles de marché, de contrôle... Et pourquoi pas aussi dans les cercles de chasse. Car le féminin n'est pas forcément végan ni sororal.
Je ne sais pas s'il y a des romans ou des nouvelles, des films ou des séries sur des contre-mondes comme ça.
En tout cas, c'est la proposition d'Eva. Ou peut-être mon fantasme : Et si les formes du pouvoir, du travail, de la technologie, de la transmission avaient germé de l'imaginaire féminin ? Un imaginaire où la question du corps, du biologique est première. Oui, le corps des femmes avec leurs cycles, leurs rythmes, leurs empêchements, leurs humeurs, leurs fluides, leur pouvoir de porter la vie... Et aussi leur manière de prendre du plaisir. Lentement. Continuement — enfin, lorsque l'homme y consent.
Cela peut sembler déplacé ici, mais c'est notre mode de jouissance, de plaisir, qui nous porte. Quoi qu'il en soit, à notre insu.
Et donc, c'était une journée à la campagne, en petit groupe, pour revenir à cette part-là du monde. Jusque-là, Eva et moi, les ateliers, on les créait et on les animait en duo. Mars et Vénus sur le divan... Coacher avec ses démons... Même chose à l'université, autour des jeux de transfert en coaching. Mais, là, c'est Eva qui animait et je me suis laissé faire. Au beau milieu des autres. Une manière de changer la donne entre nous.
De la pâte à modeler, des feutres de couleur, des cartes postales, l'idée c'était de créer une « fresque du féminin ». Chacune et chacun à notre manière. On était huit, des femmes et un autre homme aussi. Parce que le féminin n'est pas dévolu aux femmes — si les hommes y consentent là encore.
Eva nous a proposé un canevas de recherche qui croise le biologique et le social, qui relie l'intime et le collectif. Cette approche bio-sociale est utilisée en épidémiologie, en recherche sociale et aussi en management, pour analyser comment le social s'imprime dans le corps. Et tout l'inverse aussi.
C'était sous la forme d'une marelle ici. À même le sol. Ça aussi, ça cassait les codes. Fonctions vitales, Relations, Métier, Épigénétique, Social, Politique... Chaque case ouvrait sur tout un monde. Mais il s'agissait d'en dire juste un mot ou deux. Avec une image ou un dessin. Sur le terrain du féminin donc. Et pour soi-même.
Mais tout ça sans vraiment de mode d'emploi ! Dans mon enquête sur le féminin, je me souviens, c'est ça que je cherchais au fond : une sorte de manuel face au maternel. Toujours incertain, erratique, incontrôlable pour moi. Et je n'ai jamais rien trouvé bien sûr.
Alors, là, j'ai plongé dans une sorte de rêverie. Oui, une fréquence où je ne contrôle plus grand-chose justement. Mon antidote, en quelque sorte. Pour l'épigénétique, j'ai choisi une première photo : un macaque à crête (Macaca Nigra). Il montre les dents, et on ne sait pas trop s'il rigole ou s'il veut mordre.
« Fais le beau. Attaque ! » J'ai ajouté ces mots-là en légende. Je me souvenais : c'était mon autofiction en projet, sur les origines de mon monde. Au milieu des bêtes, des chiens. Et en pleine confusion des sentiments alors.
Et puis, de proche en proche, le reste est venu. Le temps était compté — rendez-vous avec le groupe dans 30 minutes pour partager nos trajets — mais, dans mon état de rêverie, il n'y avait pas vraiment de pression. À un moment donné, j'ai quand même bien pataugé. Là où la fresque adresse explicitement le somatique : Tissus. Organes. Point sensible.
J'ai fini par poser un seul mot ici : Inflammations. Ça reliait toutes les afflictions plus ou moins critiques que je traversais au fil de ma vie. Cette fresque-là, c'est comme un travail d'anamnèse. Et aussi un outil d'exploration des organisations, à l'heure où la loi Rixain pousse à transformer les modes de gouvernance. Avec davantage de féminin.
Et c'est dans l'étape d'après, de partage en groupe, que j'ai perçu de premières correspondances. Par exemple, mon terrain inflammatoire a souvent été en « syntonie » avec les mondes professionnels sous pression et surexcités que j'affectionnais. Des lieux de conflit, de violence et de crise. Avec alors la question : qui sert de d'antidote à qui, ici ?
Et pour l'item Économique & Politique, j'ai écrit « La fin d'un monde ». Avec une image de guerre. Enfin, des casques bleus visiblement.
— Peut-être la fin de la guerre avec le maternel ? a questionné Eva.
J'avais des consultations les jours d'après. Avec des femmes. Et c'est bizarre, j'ai senti que je les écoutais différemment...
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Pour en savoir plus sur l'approche biosociale : Ever Mind, le site d'Eva Matesanz