08
OCT 09

Coaching en direct à l'AP-HP

Lors des "Rencontres du management" à l'AP-HP, Bruno DEPORCQ, animateur du coaching au sein de cette institution, a choisi de conjuguer un "coaching en direct", les interventions du responsable du coaching à la RATP et d'un coach à HEC ainsi que le témoignage d'une directrice d'hôpital.
La séance de coaching en "live" a été enregistrée ; elle est retranscrite ici avec les éclairages des deux intervenants : André de Châteauvieux et Valérie Herpet, coachs de dirigeants et de managers.


Plus de 200 participants dans l'amphi

Ce sont des cadres dirigeants, des médecins, des cadres soignants et des responsables RH qui se sont réunis pour ces "12èmes Rencontres du Management" dans l'amphi Charcot à la Salpétrière. L'animateur tend un micro à André et Valérie, la cliente de ce coaching. Un long silence s'installe…
Puis André prend la parole :
- Le coaching est comme le silence : plus on en parle et plus on s'en éloigne… Je ne sais pas parler du coaching ; je sais simplement le vivre avec mes clients. La séance qui va suivre n'est pas une simulation. C'est un cheminement dans l'inconnu, avec Valérie. Je l'accompagne en supervision et j'ignore sa demande pour aujourd'hui.
Valérie et André se présentent en quelques mots puis s'assoient, face à face… A nouveau un long silence… Valérie introduit la séance :
- Le problème que j'aimerais résoudre est mon blocage dans la prospection des clients… Cela va jusqu'à la somatisation : je viens de me casser un orteil, c'est une manière de ne pas avancer !? J'ai peur que mon attitude me freine aussi dans mes coaching.
- Concrètement, comment ça se passe pour toi ?
- La question est plutôt : Comment ça ne se passe pas ?! Je me laisse vivre, je me freine dans la prospection. Le temps que je devrais réserver au commercial je le consacre à d'autres activités. Et, pour avoir la conscience tranquille, je veille à ce que toutes ces activités restent liées au coaching, par exemple me former. Je dois vaincre cette tendance au repli mais je ne sais pas comment m'y prendre…
- Valérie, je me sens dans la confusion. Je ne sais pas comment m'y prendre avec toi, maintenant.
- Moi, je me sens face à un vide…
- Tu te sens face au vide…
- Oui, maintenant… Et surtout quand j'ai envie de rencontrer des clients. Je ne passe pas à l'action…
- Que désires-tu, maintenant ?
- Je désire comprendre. Je ne comprends pas ma peur d'appeler de nouveaux clients, inconnus… Pourtant, j'ai les compétences nécessaires. J'ai de très bons retours de mes coachés et la plupart me recommandent. D'ailleurs, ma peur de prospecter s'évanouit quand je suis recommandée.
- Valérie, j'ai du mal à entrer en relation avec toi… Peut-être reproduis-tu ici, avec moi, ton désir de ne pas rencontrer l'autre, de ne pas vivre l'émotion de la rencontre ?
- Non ! Je n'ai pas peur… pas peur de vivre des émotions ! Ma vie professionnelle et personnelle en est très riche. Mais je cherche aussi à me protéger…
La superbe impuissance du coach…
André s'adresse alors au public :
- Je vous confie mon impuissance ici. Je me dis que Valérie reproduit peut-être avec moi sa manière de rencontrer les autres. C'est comme si elle était dans sa bulle… Et moi, je plonge alors dans l'impuissance… un peu comme Valérie, peut-être…
- Je suis tout à fait d'accord : j'incarne bel et bien mon problème !
- Que représente le public ici pour toi ?
- Des clients potentiels !
Des rires éclatent dans la salle.
- Avant d'aller vers le monde, essayons avec la partie du monde que je représente pour toi. Comment pourrais-tu être en relation avec moi ?
- Je pourrais écouter ton besoin d'entrer en contact avec moi. Mais, pour l'instant, je ne peux pas te donner cette permission.
- Et que redoutes-tu ?
- J'ai peur de repartir avec des solutions ! Alors, je ne pourrai plus me trouver d'excuses !
- Tu as peur de réussir ?
- Oui et surtout je redoute d'être envahie.
- Qu'attends-tu de moi, maintenant ?
- D'être accompagnée dans ma peur. Ma peur d'être submergée par trop de problématiques. Car j'ai besoin de me ressourcer… Et je me demande si je serais capable de gérer beaucoup de clients.
- Tu as peur d'être envahie par tes clients ?
- Oui !
- Je te propose une expérience en utilisant tout l'espace qui est là, disponible devant nous. Qu'en dis-tu ?
- J'en ai envie… J'ai envie d'aller dans le monde !

Vivre l'expérience d'aller dans le monde

André et Valérie se lèvent. André se rapproche peu à peu :
- Que ressens-tu ?
- Que tu m'envahis !
- Alors c'est toi qui vas bouger… Comme bon te semble…
Valérie s'éloigne :
- Je crois comprendre ! Mon problème vient de la distance… de ma capacité à réduire la distance. J'ai peur d'être envahie par les problèmes de mes clients et aussi dans ma relation avec eux. Je ne crée peut-être pas assez de distance ? D'où ma peur d'être envahie…
André s'éloigne de plusieurs mètres et interpelle Valérie :
- Que ressens-tu quand je suis loin ?
- Je me sens larguée !
- Moi aussi, je t'ai perdue. Si tu n'es pas en contact avec moi, je ne peux rien faire. Qu'est-ce qui se passe quand tu es loin de moi ?
- Maintenant, je suis apeurée. J'ai l'impression de ne pas pouvoir m'en sortir…
- Et alors ?
- C'est bizarre, je suis rassurée : je navigue dans l'inconnu, et je trépigne car j'ai envie d'en sortir !
- Que vas-tu faire, maintenant ?
- Je veux bouger, mais je ne sais pas dans quelle direction ?
Silence… Valérie se déplace. André l'interpelle à distance :
- Qu'est ce qui se passe pour toi ?
- Maintenant je fais face au public, alors qu'avant je l'oubliais. Je n'ai plus peur, car je vois des visages. Leur présence me rassure. Et une expression déplaisante sur un visage ne m'effraierait pas. Je me sens à ma place !
- Que veux-tu que je fasse ?
- Que tu m'aides à traverser mes émotions. Je veux que tu sois à côté de moi, mais pas dans mon champ de vision ! Il me suffit de te sentir près de moi. Si je te vois, je me sentirais peut-être entravée.

Quand le coach a peur, aussi !

André interroge le public :
- C'est maintenant moi qui ai peur… peur d'aller plus loin ! J'ai besoin de vérifier un point de sécurité pour moi : qui, parmi vous, se sentirait dérangé si j'allais un pas plus loin dans le coaching de Valérie ?
Un participant dans l'amphi :
- Je croyais que le coaching visait à aider le client à aller dans le monde. Mais, jusqu'à présent, vous ne parlez que de la peur du monde !?
- Que ressens-tu quand le public nous questionne ?
- Ma peur augmente. Et j'ai aussi envie de répondre !
Un autre participant dans la salle :
- Quand vous vous rapprochez de nous, c'est déjà être dans le monde !?
Puis une autre participante :
- Je croyais que le coach apprenait à contrôler ses émotions, à les dominer ?
- Valérie, nous recevons des questions de toutes parts. Moi, je me sens envahi. Et l'animateur me fait signe qu'il faudrait clore notre séance… Et le public essaie encore de nous parler. Que veux-tu faire de tout ça ?
- J'ai l'impression de ne pas contrôler mes émotions mais de pouvoir les utiliser. L'émotion des autres et la mienne sont de la matière avec laquelle je travaille.
- Asseyons-nous un instant pour commencer à clore… Comment te sens-tu ?
- L'intervention de la femme dans l'assistance, autour des émotions, m'a permis de traverser ma peur. J'ai pu exprimer mes désirs, partager ma manière d'être avec les autres. C'est ce dont j'ai besoin. J'ai vécu une expérience émotionnelle dont j'avais envie. Je sens que beaucoup de choses bougent en moi.
- Comment as-tu réussi à faire cela ?
- J'ai écouté l'émotion que cette femme provoquait en moi, puis j'ai verbalisé ma réponse. J'ai écouté la demande formulée. J'apprends qu'il ne faut pas chercher à délivrer un message aux autres, mais répondre spécifiquement à leurs questions. Cela passe par l'écoute.
- J'ai l'impression que tu as changé de posture physiquement. Comment te sens-tu ?
- Détendue…
La séance se termine ici. Les visages dans la salle, les murmures et les rires qui ont accompagné ce coaching ont exprimé la tension, l'émotion et, parfois, le désarroi ressenti.

Regards croisés sur la séance

André et Valérie apportent ici quelques éclairages en écho aux questions clés du public après la séance.

« Comment le coach garde-t-il une relative quiétude face à la pression qui monte ? »
André : J'ai ressenti une forte pression au début : la présence du public, l'inconfort du lieu, la symbolique de l'amphi Charcot, les participants arrivant au fil de l'eau… Aussi, avant de prendre la parole, j'ai installé un long silence pour être présent à moi-même et accepter mon trac.
La pression est revenue quand Valérie a formulé sa demande : chaque coaching est centré sur une demande définie en amont du parcours, mais le coach ne peut pas anticiper l'objectif de chaque séance ! Alors, à l'instant où j'entre en contact avec mon client, je reste présent à moi-même, à mes besoins et à la relation qui se crée…
Quand Valérie a formulé sa demande, j'étais en pleine confusion devant la profusion d'informations : la difficulté de prospecter, la peur, l'orteil cassé… J'ai verbalisé ma confusion et voulu me raccrocher au "concret" ! Mais c'est comme si la confusion s'amplifiait : Valérie m'embarquait dans sa problématique et dans une escalade jusqu'à l'impuissance mutuelle…

« Cela ressemblait à un jeu ? »
André : Quand j'accepte de plonger dans l'impuissance avec mon client, en conscience, alors un changement peut survenir. J'ai verbalisé cette impuissance en m'adressant au public, certes, en forçant le trait ! Et surtout, j'ai formulé une hypothèse : "notre relation est peut-être en reflet de la difficulté de Valérie ?" ici, la peur d'entrer en relation avec l'autre…
La relation est un outil essentiel du coach : elle est souvent une métaphore du problème du client. A cet instant, Valérie prend conscience de ce qui "se joue" entre nous : "J'incarne bel et bien mon problème !".
Cela peut effectivement faire penser à un "jeu" : nous communiquons rarement sur "ce qui se joue" dans nos relations. Reconnaître le jeu qui se répète ici, le nommer, permet d'en sortir ensemble…

« C'était parfois comme une pièce de théâtre ? »
André : En partageant notre impuissance, nous la dépassons et entrons dans la phase créative du coaching ; j'ai eu envie d'utiliser les ressources à notre disposition : l'espace, le mouvement, le public… Dans cette phase de co-création, je navigue à vue avec mon client ! J'ai simplement confiance dans l'alliance créée. Je vois que nous sommes coincés sur nos chaises, nous parlons beaucoup, alors je propose à Valérie de se lever et se déplacer…
Je m'approche car j'ai besoin d'être en contact avec elle. Valérie me donne ici une indication précieuse : la peur d'être envahie… C'est avec cette peur que j'ai envie de travailler. Je fais l'hypothèse que cette peur cache peut-être un désir… Un désir en écho à sa demande : prospecter c'est peut-être envahir les autres, le monde… Je propose alors à ma cliente de bouger "comme bon lui semble" pour explorer cette autre dynamique.
Et alors Valérie m'invite à l'accompagner pour traverser sa peur. Et, c'est à mon tour de prendre peur : la peur de l'impudeur… La peur est imaginaire et mon interaction avec le public me fait revenir dans le réel. Le même processus se déroule pour Valérie : les questions des participants déclenchent une prise de conscience.
Il est vrai que certaines séquences ressemblent au théâtre : quand nous découvrons des parties de nous-même qui nous semblent inconnues, alors nous semblons jouer un rôle. Le coaching permet d'expérimenter ces "polarités" nouvelles. Et je m'inspire ici d'une approche spécifique, la "gestalt", qui met en action des "personnalités" que nous réprimons et qui sont pourtant des ressources précieuses.

« La demande apportée ici semble lourde : elle nécessiterait combien de séances ? »
André : Plus on parle du problème et plus il prend de la place ! Le coach s'intéresse au "comment" et aux nouvelles solutions possibles, ici et maintenant. Investiguer le "pourquoi", le passé et les symptômes enferme le client et son coach dans la plainte. Comme l'exprime un participant dans l'amphi : "Jusqu'à présent, vous ne parlez que de la peur du monde !?"
Ma pratique s'inspire ici de "l'Orientation vers les Solutions" : il ouvre des permissions, permet à Valérie de vivre une autre expérience et ainsi de changer sa représentation du monde. Il n'est pas nécessaire ici d'investiguer en profondeur : le client sait comment changer et jusqu'où aller. Et surtout, le travail se poursuit après la séance…

Le retour de Valérie après la séance

Valérie : Les effets de cette séance ont été multiples. Certains ont été immédiats, par exemple l'allègement d'un poids, d'autres changements sont arrivés en laissant "décanter", sans y penser…
A la fin de la séance : Je me suis d'abord libérée d'une peur fantasmée : celle de la rencontre avec l'inconnu, ici le prospect et son éventuel rejet : "je ne vous choisis pas ou je ne vous valide pas !" Le public m'a aidée dans cette prise de conscience. Je me sentais légitime dans cette expérience, même si les interventions de certains participants me semblaient empreintes de scepticisme ou d'une légère agressivité.
Grâce à la présence d'André et son utilisation de l'espace, j'ai pris conscience que mon besoin est de trouver la bonne distance avec mon client, sans être envahie par lui, son univers, ses problématiques, ni trop éloignée par une distance qui ne permettrait pas la relation de confiance.
Des participants et des conférenciers sont venus me remercier de m'être "prêtée" à cet exercice inhabituel ; j'ai entendu dans leurs propos : "Bravo d'avoir osé !" Cette prestation était pour moi naturelle et m'a éclairée sur ma singularité de coach : si je me sens légitime et à ma place, je n'ai pas à "oser ou ne pas oser", mais juste faire ce que je sais faire et être qui je suis. Et la relation se crée ou pas…

Et quelques jours après : J'ai pris conscience que je savais gérer la distance qui me convient dans mes relations. Et surtout, une solution m'est apparue : m'écouter davantage et travailler avec le coaché toute intuition qui me dirait : "ton client est trop proche ou ne me semble pas présent, maintenant…"

En recul sur cette séance et sur ma pratique de coach : Mes clients viennent vers moi pour se "nourrir" d'une singularité qu'ils perçoivent chez moi et qui leur appartient aussi. Cette projection contribue à créer ce que nous appelons "l'alliance" en coaching. J'utilise alors mon savoir-être et mes compétences relationnelles afin que le coaché se réapproprie et développe ces ressources singulières, en autonomie…

André de CHATEAUVIEUX et Valérie HERPET - Février 2007 - Reprise d'archives