« Alors ces rêves-là sont ratés. » C'est la femme au divan, enfin ma psy, qui m'a dit ça l'autre jour. C'était au retour des vacances. Mais je n'ai pas aimé parce que je n'aime pas trop rater les choses. Même si je sais bien qu'on ne contrôle rien avec l'inconscient. Surtout la nuit. Ma psy me disait ça parce que je débarquais sur son divan comme pour déposer une plainte. Oui, mes rêves me réveillent. Brutalement toujours. C'est d'ailleurs pour ça que je m'en souviens. Mais je ne vois pas comment faire autrement. Alors, après ça, j'ai du mal à me rendormir.
« Le rêve est le gardien du sommeil » elle a ajouté. Je sais bien, j'avais vu ça dans mes cours à la fac et dans L'interprétation des rêves de Freud. Oui, le désir qui se cache au fond d'un rêve s'accompagne tout à la fois d'interdits, de censures et d'angoisses. Et le travail du rêve pour tenir ça ensemble – camoufler, mettre en images, fabriquer un scénario – tout ça échoue parfois. C'est pour ça qu'on se réveille au beau milieu de la nuit, entre désir et horreur de savoir.
Mais comment me souvenir de mes rêves si je dors tout le temps ? Ma psy n'a pas répondu alors j'ai mis ça de côté. Et je lui ai raconté le morceau de rêve qui me restait et qui m'avait réveillé la nuit d'avant. C'était une histoire de chien. Un chien complètement tondu. « Tondu » a répété ma psy avec un point d'interrogation ou d'exclamation.
Et à quoi ça vous a fait penser, elle m'a demandé. Sur le moment, enfin quand ça m'a réveillé, à rien ! Mais là, sur le divan, j'ai pensé aux femmes qui se rasent le sexe. Alors que moi j'aime bien le sexe pas tondu, j'ai dit. Oui, genre années 70, j'ai précisé. Ma réponse était un peu rapide, un peu attendue pour le divan. Alors j'ai continué d'associer sur des choses qui n'avaient rien à voir en apparence parce que dans les rêves tout est retourné, maquillé. Et, des poils de chien aux poils de sexe, j'en suis arrivé aux cheveux. Oui, à ces femmes qui, pendant la guerre, étaient complétement tondues parce qu'elles avaient couché avec l'occupant, avec l'ennemi. Parce qu'il y a un peu de ça aussi dans mon histoire, dans mon imaginaire. Des questions de frontières et de rétorsion.
Et puis, en sortant de la séance, j'étais quand même dans la confusion à propos des rêves et du sommeil, de la mémoire et de la censure. C'est comme si j'en voulais à ma psy de devoir rêver pour lui apporter ça en séance et donc d'avoir des insomnies en pleine nuit. Alors qu'elle ne me demande rien. Une forme de commerce intime avec elle, sur un mode sadique-anal, qui m'a fait penser aux marchandages avec la mère pour « devenir propre » ou lui échapper. La matière des rêves ou la matière fécale.
Alors, pour essayer d'y voir plus clair, j'ai ressorti de ma bibliothèque des livres de Freud et mes notes de cours. Mais, finalement, je n'ai pas relu tout ça parce que j'ai beaucoup rêvé pendant le week-end. Mais sans réveil trop brutal ni insomnies cette fois. Et pourtant, au petit matin, je me souvenais de mon dernier rêve et je pouvais même y retourner. Comme pour connaître la fin. Entre horreur de savoir et désir de savoir.
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Et le lien, là, juste en dessous, c'est "La grande traversée" de cet été sur France Culture et avec Freud. C'est cinq épisodes et ça dure presque deux heures à chaque fois ; alors c'est plutôt long au train où vont les choses mais c'est vraiment bien de prendre le temps d'écouter ça. C'est comme un travail d'enquête avec plein d'inédits :
La grande traversée : Sigmund Freud - France Culture - Eté 2018