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FéV 09

Eros, Thanatos et changement

Dans notre métier, écrire s'apparente au patient travail de l'artisan dans son atelier de création. Avec le plaisir qui l'accompagne : revenir aux sources, questionner, mettre en récit l'expérience…
J'ai évoqué ici un projet d'écriture pour un ouvrage collectif avec un chapitre singulier sur l'art de changer en entreprise.
Singulier car ici les réorganisations, bouleversements ou transformations évoquent un champ de bataille plutôt qu'une partie de plaisir !
Alors, avant d'écrire sur l'énergie créatrice au cœur du changement, j'ai d'abord plongé dans le monde de thanatos.
Voici en partage quelques lignes et une histoire pour décricoter ce qui nous attache à l'univers des larmes et du deuil.

Quand nos modèles nous plongent dans la souffrance
La courbe du deuil est la métaphore la plus répandue pour conduire le changement en entreprise. Ce modèle est issu des travaux d'Elisabeth Kübler-Ross, psychologue américaine, qui accompagnait les personnes en fin de vie. Selon cette théorie, les patients en soins palliatifs traversent six phases successives : le choc, le déni, la révolte, le marchandage, la dépression puis l'acceptation de la maladie et des derniers instants de la vie.
Ce modèle structuré, linéaire, transposé à l'entreprise, répond au besoin de gérer les émotions, prévoir le temps du changement et maîtriser le foisonnement vivant qui surgit naturellement lors d'un changement humain.

Et, en même temps, la métaphore du deuil présuppose que ceux qui doivent changer plongeront d'emblée dans les résistances et la souffrance.
Et, en effet, la théorie agit comme une prédiction auto-réalisante : communiquer sur la cible future, incertaine et floue par nature, suscite la peur de l'inconnu. Se focaliser sur les résistances leur donne forme et les amplifie. Alors, ce que redoute les dirigeants finit par arriver : confusion, escalade, rejet…

L'exemple d'un bouleversement : de l'artisanal vers l'industriel
Lorsque Michaël prend son poste de directeur informatique, il a l'ambition de professionnaliser les méthodes "trop artisanales" de sa nouvelle équipe.
Il organise un séminaire pour communiquer cette ambition et construire un plan d'action avec les directeurs de projet.
Michaël ouvre le séminaire par le diagnostic sur les dépassements de délais, les dérives dans les budgets. A cet instant, un chef de projet, agacé, monte au créneau pour défendre les bénéfices de la posture d'artisan : qualité des relations avec les clients internes, écoute des besoins, souci du service rendu. Michaël recadre ce "partisan de la vieille école". Alors une alliance se tisse avec celui qui ici met en mots les valeurs et "l'âme de l'équipe". Le séminaire fige les oppositions entre la passion et la raison, l'histoire de l'équipe et l'inconfort à venir, le souci du sur mesure et le besoin d'industrialiser…
Michaël réorganise la direction, recrute un chef de projet pour créer un contre pouvoir, confie la hot line à un sous-traitant… Les relations avec les clients internes se dégradent peu à peu, les projets dérapent.
Neuf mois après sa prise de fonction, exténué et démuni, Michaël démissionne.
Et pourtant tout a été anticipé : communication de la direction générale, formation à la gestion de projet, conseil en conduite du changement…

Ainsi, sur le chemin du changement, la dynamique se crée dès les premiers pas : nos métaphores sont porteuses de sens, nos croyances et nos projections influencent notre manière de communiquer et nos actions. Elles nous plongent, au choix, dans la vallée des larmes ou dans l'aventure…

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