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AOU 08

La distance intime

Sur la plage, avant de plonger dans de délicieux ou poétiques romans d'été (L'éducation d'une fée , Clair de femme…), un livre exceptionnel et passionnant m'a d'abord tenu compagnie : « La distance intime, Tendresse et relation d'aide » d'Alain DELOURME.

C'est un ami, DRH et coach, qui me l'a recommandé et prêté, car hélas l'ouvrage est épuisé (si vous êtes "patient", vous pouvez l'acheter d'occasion sur le web).
Exceptionnel et passionnant car l'auteur, psychothérapeute et superviseur, nous invite à une association stimulante de différentes démarches au carrefour de la philosophie, de la psychanalyse et des thérapies psycho-corporelles (gestalt, bioénergie…).
Mais les techniques sont ici secondaires (« leur valeur repose largement sur celle des thérapeutes qui les utilisent »), car le projet est de décrire « non une nouvelle méthode mais une mentalité renouvelée » autour de l'engagement relationnel, la « relation vive », son éthique, sa valeur dans le changement…
L'implication affective entre le praticien et le client, la tendresse réciproque, assumée et exprimée sont au cœur de ce projet.

Un projet qui, au fil des pages et des expériences partagées, nous emmène par-delà les tabous (plaisir et joie dans le tissage du lien) et par-delà les croyances bien établies (le primat de l'inconscient ou du passé, la neutralité bienveillante du thérapeute, son absence d'ambivalence…).
Par-delà aussi les alternatives stériles : il ne s'agit plus de choisir entre travail émotionnel ou reconnaissance du transfert, implication dans le lien ou réflexion distanciée… Ces alternatives sont remplacées par des articulations fécondes : affectivité et réflexivité, implication et distanciation…

Je partage ici de larges extraits qui m'ont ressourcés, en particulier sur la tendresse, le cadre, l'alliance, le plaisir dans la relation…
Vous y trouverez peut-être aussi des échos, des pistes, des ouvertures…

Le tabou de la tendresse
« La gêne, la honte, l'agacement accompagnent parfois une expression tendre, par exemple une caresse de la joue. Et en effet, hormis les paroles et les gestes affectueux adressés à de jeunes enfants ou échangés entre amoureux, il faut bien reconnaître que la tendresse, comme sentiment exprimé, reste tabou. La tendresse vécue intérieurement garde partiellement sa valeur mais l'expression en est inhibée et les relations tendent alors bien souvent vers une formalisation aseptisée et plutôt ennuyeuse. [Le statut de la tendresse] n'est pas freudien car on se souvient de la définition donnée par Freud à la tendresse : un érotisme détourné de ses buts sexuels, c'est-à-dire un désir désexualisé et déplacé. Pour moi au contraire, la recherche de contacts interhumains doux et rassurants, le désir de caresses affectueuses et calmantes ont une fonction à part entière qui est d'unification et de sécurisation et non pas de satisfaction libidinale ratée ou appauvrie. La tendresse partagée a une fonction de confirmation existentielle réciproque et mérite pour cela qu'on l'exprime sans trop d'avarice.
[…] Dans le domaine de la psychothérapie, les sentiments tendres cimentent les prises de conscience apparaissant parfois de manière éparpillée lors des échanges, et favorisent l'incarnation et l'acceptation de ces émergences mentales qui sinon restent souvent sans suite, faute d'inscription affective. […] Le projet de me positionner vis-à-vis d'autrui rend mon intériorité et la sienne beaucoup plus sensibles. » (p. 194).

Le cadre : une règle de protection-liberté et aussi une "ambiance" singulière
« L'espace thérapeutique n'est jamais un lieu neutre et simple. Les enjeux les plus profonds et les plus puissants s'y actualisent et s'y déploient. Aussi la banalisation en est-elle exclue. […] je propose, pour favoriser puis canaliser la mise en acte à l'intérieur du cadre thérapeutique, d'indiquer clairement aux patients une règle de protection. Il s'agit d'une règle de non-passage à l'acte agressif ou sexuel […]. Son existence permet aux patients de se sentir libres d'exprimer authentiquement leur vécu, même intense, même archaïque, sans crainte des conséquences ou des représailles. […]
Mais encadrer ne consiste pas seulement à énoncer des règles, il s'agit également de créer une ambiance. Celle-ci doit être propice à la libre expression ainsi qu'à l'ouverture authentique à soi-même et à autrui. Ce point est difficile à décrire car relevant du senti, du perçu plus que du pensé. […] Nous pouvons néanmoins discerner quelques éléments prépondérants : la disponibilité du psychothérapeute, son ouverture à lui-même, aux autres et à la situation ; l'autorisation qu'il donne en prenant l'initiative de se montrer lui aussi, et parfois d'abord, ouvert et authentique ; les paroles d'encouragement et d'autorisation qu'il énonce, et la vérité pour lui de ces propositions ; le cadre qu'il offre : locaux, silence, ponctualité, aucun dérangement. » (p. 49).

La neutralité bienveillante ?
« Cette bienveillance qui peut être dans l'esprit du psychothérapeute, ne se trouve pas forcément dans le vécu du sujet qui peut au contraire percevoir dans l'attitude réceptive, certes, mais non active de son interlocuteur une marque de désintérêt voire une hypocrisie professionnelle. Ce qui peut s'additionner aux blessures narcissiques existantes et donc se mettre au service de la répétition pathogène. Certains patients ayant absolument besoin d'une réaction affective humaine peuvent tout mettre en œuvre pour faire sortir leur psychothérapeute de son impassibilité, quitte à développer leurs symptômes les plus inquiétants. En d'autres termes, le niveau réel de la relation, notamment les corps en présence avec leurs caractéristiques individuelles (apparence, odeurs, expressions du visage, qualités du contact tactile, etc.), les manières concrètes de communiquer dans l'interaction ainsi que l'implication affective authentique peuvent avoir une grande influence thérapeutique. Harold Searles nous communique dans son ouvrage sur le contre-transfert quelque chose d'analogue, bien que limité aux sentiments : "Je ne peux pas croire que l'analyste ou le thérapeute puisse mettre de côté ses sentiments réels et fonctionner encore efficacement avec le patient." » (p. 95)

La part inconsciente
« La hantise de l'antériorité dont Ricœur a bien montré la présence dans la pensée freudienne amène les analystes à trop souvent chercher dans le présent une répétition inconsciente du passé et dans le passé une explication du présent. Cette attitude est parfois éclairante, parfois obscurcissante. Car si la théorie freudienne présente bien le passé comme fond, la part innovante du présent et l'importance de l'avenir comme construction de sens peuvent lui échapper. Comme souvent, c'est la systématisation d'une méthode qui en révèle les limites. Happée par la pathologie, la psychanalyse crée un super-système nommé Inconscient pour tenter de cerner ce qui échappe à l'homme. […]
Si à la connaissance de notre histoire nous ajoutons la reconnaissance des vertus constructives de la conscience qui anticipe l'avenir, nous pouvons mieux concrétiser nos projets sans nous perdre dans l'exaltation imaginaire. L'avenir devient alors cet espace ouvert à la réalisation de nos souhaits, "ce lieu de naissance qui s'ouvre devant nous" ». (p. 184)

La mise en acte
« Oser communiquer de nouvelle manière, s'affirmer autrement, jouer à être l'opposé de ce que l'on croit être sont des expériences qui peuvent changer quelqu'un pour quelques minutes ou pour toujours. Ces changements sont souvent partiels mais ajoutés les uns aux autres, au fil temporel des séances, ils finissent par constituer un authentique et durable changement du mode d'être. » (p. 63)

L'éthique du lien : « le plaisir moteur du changement »
« C'est incontestablement Max Pagès qui m'a le plus influencé. […] C'est dans ce livre [Le travail amoureux] que Pagès développe l'idée féconde, complètement opposée à la stratégie psychanalytique, que l'on peut résumer par une formule ramassée : le plaisir partagé est le moteur du changement. Le plaisir serait une des premières expériences de socialité et mènerait à la découverte d'autrui par la reconnaissance mutuelle des désirs. Loin du désir freudien qui est possessif et se définit en termes de manque, l'auteur nous offre une conception positive du désir qui dès l'origine vise des expériences sociales. » (p. 170).

L'alliance thérapeutique
« L'équivalence entre les êtres, pilier important de cette alliance, se définit par la joie de la relation comme coopération et comme tendresse.
Ce qui est essentiel dans cette ouverture théorique et clinique est la possibilité offerte au patient de trouver-créer les conditions de son épanouissement. Elle ne met pas l'accent sur le sens tragique de l'existence et sur un primat a priori de l'angoisse et du souci de la mort. A bonne distance des doctrines pessimistes, notre entreprise consiste au contraire à mettre l'accent sur le désir de vivre et sur l'accroissement de la liberté de chaque sujet. Comme les philosophes de la joie (tels Spinoza et Misrahi), je n'ignore pas la souffrance. Mais je connais comme eux son caractère contingent, c'est pourquoi je traite du malheur dans l'existence et non du malheur de l'existence. Le sens profond de la souffrance n'est pas de nous rendre nobles et dignes, sa fécondité pédagogique consiste plutôt à nous révéler le désir de santé corporelle et psychique, le désir de plénitude et de joie. » (p. 202)

Et aussi :

  • Un "instant de coaching" où la tendresse est aussi présente, sans être nommée ici (pudeur plutôt que tabou peut-être…) : Etre l'ami du coach ?