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SEP 12

Salut Marie !

J'aimais imaginer écrire ici quelques lignes sur ce roman délicieux et tendrement mélancolique d'Antoine SENANQUE et de mon été indien, et, en même temps, les créations singulières et en duo avec Eva (La thérapie pour agir, Psychanalyse et supervision, Mars et Vénus sur le divan…) me portent ailleurs et un pas plus loin sur le chemin des mésalliances fécondes et insolentes de cette rentrée.
Alors voici simplement quelques bouts des pages cornées de ce roman insolent aussi et à savourer sans attendre.

 

"J'ai lu que Dieu recherchait parfois la performance avec des âmes perdues, mais il me semble que je manque d'infamie pour le séduire. La Vierge pourrait aussi entretenir l'espoir de rentabiliser son apparition, pour relancer sa carrière par une visite inattendue. Mais elle doit savoir que je suis un mauvais porte-parole, porte-murmure tout au plus."

"La Trinité aurait mieux tenu sur ses bases si Marie avait remplacé le Saint-Esprit, un personnage flou qui ne nous sert à rien. La Vierge aurait apporté de la féminité dans cette triade agressivement masculine et devenue l'égale du père, elle aurait pu peser sur l'épilogue de la tragédie. Jésus n'aurait jamais demandé « Mère pourquoi m'as-tu abandonné ? » La question ne se saurait pas posée. Quelle mère aurait laissé faire ça ? Marie aurait décroché son fils de la croix en un claquement de doigt et arrêté cette boucherie."

"Ce que je n'ai plus, c'est une femme que j'aimais et ce n'est pas elle que j'ai vue. Si j'avais dû faire apparaitre quelqu'un, la Vierge aurait été la dernière de la liste. Et je ne sais pas ce que je désire encore. Je reste sur le seuil d'une vie arrêtée. Depuis dix ans, mes jours se clonent, se reproduisent à l'identique, sans se croiser avec le temps d'un autre. Je m'habitue, mais le temps gagne certainement à une reproduction sexuée. Les jours clonés ont les défauts de la plupart des organismes recomposés comme eux : vieillissement précoce, malformations plus nombreuses et stérilité.

"Les défauts physiques sont des gargouilles, des laideurs utiles comme ces monstres en pierre qui drainent les eaux des cathédrales vers l'extérieur. Sans elles, les mélancolies s'écoulent en soi."

"J'ai préparé un paquet pour elle. Elle l'ouvre et rit joliment en cachant sa bouche.
- Qu'est-ce que c'est que ça ?
- Un pot de miel. De la gelée royale. J'ai pensé à toi parce que les abeilles ne la préparent pas pour n'importe qui. Elle la réservent pour leur reine."

‎"- Vous pensez que je suis vraiment malade ?
- Je pense que vous êtes « enfin » malade.
- Enfin ?
- Oui, les grands anxieux préfèrent la maladie à la peur de la maladie. C'est le flou qui les tourmentent, la condamnation en puissance, pas en acte."

"Les médecins ne posent plus les doigts sur les corps. Ils regardent de loin à travers des radios ou des résultats d'examen. Les vétérinaires continuent eux à laisser parler leur peau. Les cellules cutanées ont devant la maladie, un vocabulaire plus riche que les neurones encombrées de données et d'humeur."

Salut Marie ! Antoine SENANQUE, Mai 2012. Editions Grasset

Le blog de l'auteur : Antoine SENANQUE

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