L'autre fois, j'ai rêvé toute la nuit – enfin j'avais l'impression que c'était vraiment toute la nuit – mais le souci c'est que ce rêve-là c'était juste une chanson qui tournait en rond dans ma tête. Quelques notes. Un refrain.
C'était rageant, j'étais soudain enragé je veux dire, parce que ça semblait échapper aux différentes entourloupes, à toute la mécanique de censure qui bat son plein dans chaque rêve et que pourtant je crois bien connaître à présent.
Oui, par exemple, je me retrouve de plus en plus souvent avec juste un bout de rêve au réveil. Une image, une séquence coupée d'un scénario comme un thriller, ou même un seul mot, mais qui s'impose alors, qui insiste.
L'autre nuit, c'était sans doute la trace la plus minuscule. Plus petite encore qu'un air de chanson. Une seule lettre, un atome de rêve en quelque sorte : la lettre X, posée quelque part sur une route, je ne sais plus où.
Je ne sais pas trop si vous vous êtes déjà allongé sur un divan ? Pour parler de ce qui vous taraude ? Ou de ce qui déraille souvent, ici et là, dans vos amours ou au boulot ? Pour craquer le code de vos rêves aussi, si vous aimez rêver peut-être ?
Et ainsi entrevoir votre manière toute particulière d'être dans votre vie, d'être en vie. Et alors « arrêter d'emmerder les autres » ; c'est Fabrice Luchini qui dit ainsi les effets du divan pour lui.
Et si c'est ça, alors à un moment donné, vous vous êtes sans doute laissé aller en associations libres. Enfin plus ou moins, parce que ce n'est vraiment pas facile, je trouve, cette manière de parler, de se dire soi-même. Ce n'est pas habituel en tout cas.
Et c'est pour ça que les gens veulent préparer, s'accrocher à un fil de pensée par peur de le perdre, censurer tout le bizarre ou les fantaisies personnelles qui surgissent, etc. C'est toute une mécanique de défenses inconscientes qui se fait jour ici et qui fait aussi partie de notre névrose.
– Je sais pas si ça existe, mais c'est un peu comme un coiffeur qui n'irait jamais chez le coiffeur.
C'est à la coiffeuse, dans le salon près du théâtre, que je disais ça l'autre jour. Oui, elle prenait le temps de me peaufiner, aux ciseaux, à la tondeuse, ici et là – dans la nuque, autour des oreilles – et tout en même temps, elle me questionnait sur la psychanalyse.
Sans doute parce que la fois d'avant, j'avais évoqué un instant mon métier. Mais ça restait sans doute confus, parce qu'avec les produits L'Oréal juste devant moi – la laque souple Infinium, la pâte sculptante Tecni Art –, j'ai aussi parlé de consultations pour des entreprises parfois. Comme L'Oréal justement.
Agresser l'autre c'est mieux que s'agresser soi-même !
C'est ma psy qui m'a dit ça l'autre soir. Enfin elle l'a dit de manière plus savante, avec deux mots que je ne connaissais pas. Hétéro-agressivité et auto-agressivité. Et l'une vaut mieux que l'autre donc.
Tout ça parce que depuis un moment, je balançais pas mal de noms d'oiseaux et d'insultes sur son divan. Ça me surprenait moi-même et ce n'était pas contre elle a priori. Non, j'étais en rage contre un type qui m'avait méchamment percuté en vélo la veille au soir. De plein fouet. Il remontait la rue en sens interdit, le nez en l'air ou un peu bourré. J'étais aussi à vélo et cette rue-là trop étroite pour l'éviter.
L'autre jour – enfin l'autre nuit – j'ai fait un rêve qui est resté pas mal de temps dans ma mémoire vive. Oui, avec deux mots qui, côte à côte, faisaient une drôle de rime : la berge et la barge.
Un rêve phonétique en quelque sorte. C'était la première fois. Et tout ça parce que je cherchais une place pour garer ma Simca au bord d'un cours d'eau. Un canal ou un fleuve, je ne sais plus trop. Sur une sorte de berge en tout cas. Oui, je partais en voyage en avion, alors je voulais laisser la voiture là, plusieurs jours. Et je connaissais bien cet endroit-là visiblement, mais il y avait maintenant des bateaux de chantier. Des barges justement. Avec des grues dessus, des porte-conteneurs comme dans un port de commerce.
Il faut dire que cette image des grues ne m'est revenue qu'après coup, quand j'ai raconté ce rêve sur le divan. J'ai trouvé ça bizarre. Un effet du transfert sur ma psy j'ai pensé. Oui, les histoires qu'on se raconte changent avec qui on les raconte mine de rien. C'est comme les cartes postales de vacances – même si ça ne se fait plus – t'écris pas exactement la même chose à ta grand-mère et au voisin qui s'occupe de ta carpe koï.
Des fois, dans le lieu où je reçois, j'aime bien m'arrêter un instant sur un détail, un objet. Ça me semble d'abord complètement étranger à mon monde mais, de fil en aiguille, je vois bien que ça m'est très proche. Une sorte d'arrière-monde.
Là, par exemple, plein de figures de lutte japonaise, le Sumo. C'est du combat mais ça me fait penser au Kamasutra aussi. Parce que quand les hommes se battent c'est homo-érotique aussi mine de rien. L'un n'empêche pas l'autre, au contraire. La bagarre est un alibi pour se rapprocher, se sentir, se toucher...
Google Photos synchronise, sauvegarde, je ne sais où dans un coin du cloud comme on dit maintenant, les photos de mon mobile et puis après ça il les examine, il les décortique. Sauf que des fois, il ne comprend pas trop le sens des choses. Oui, il y a pas mal de situations ou d'objets que j'ai voulu attraper à partir d'un angle particulier.
Et aussi des clichés de toi, dans des positions plutôt inhabituelles pour le commun. Ou tout simplement un greffier qui fait la sieste au soleil, les pattes en l'air. Le lapin blanc fait ça aussi, plus ou moins.
Peinture, papier de verre, tiges filetées, etc, je venais de faire pas mal d'emplettes chez Bricoman. C'est pour un volet en bois qui a fini par s'effondrer et – ça n'a pas trop de rapport – mais j'ai eu soudain une envie folle de chocolat noir.
Oui, c'est fou parce que je n'arrive pas à comprendre ma fixation sur cette substance-là et ce côté irrépressible. Comme une addiction depuis quelques temps. Trois ou quatre carrés après chaque repas. Un naturopathe m'a proposé d'essayer le chocolat pur. C'est sans sucre, m'a-t-il dit, et on en trouve dans les magasins bio ou vegan.
C'était un jour de l'été, j'avais loué chez InVivo Jardins & Loisirs une broyeuse ou un broyeur – je ne savais pas encore si c'était masculin ou féminin – bref, une machine à broyer les déchets verts. Oui, parce qu'au fil des années tous les branchages, les herbes et le compost commençaient à faire comme une colline au fond du jardin. En plus, avec le coup d'arrêt imposé à toute l'espèce humaine par le virus, le printemps avait été vraiment glorieux. Et donc de grosses branches de pruniers et de pommiers, lourdes de leurs fruits juteux, avaient ployé au fil de l'été et fini par casser. J'avais tronçonné le plus gros et ajouté à la colline les feuilles, les branchages et aussi les fruits piqués par les guêpes et plus ou moins macérés. Ça faisait de la confiture au soleil.
Il y avait aussi là-dedans des morceaux du vieux noyer qu'une tempête avait fracassé en son milieu il y deux ans.
– J'aimerais tellement que mon chien me parle.
C'est la maîtresse de Bandit qui à un moment donné nous lance ça.
Son chien c'est un Jack Russell. Comme dans The Mask. Et je lui ai dit ça juste avant. Oui, j'avais envie de l'embrasser sur la truffe son chien et c'est à ce moment-là, quand j'ai vu de près sa tâche sur la tête, que j'ai pensé à ce film.
– Ne serait-ce qu'une heure, elle ajoute toujours dans son histoire avec son chien visiblement. Tout ça parce le Jack Russell se met à parler dans The Mask. Enfin quand il met le masque.
Toi et moi on est là devant elle. Il y a aussi Snow, ton loulou de Poméranie qui danse en liberté autour de nous. Et on se croise souvent comme ça tous les cinq, au milieu de la balade du soir. Oui, devant le champ des moutons, rue de la Justice. Et alors on se parle un instant de tout et de rien, comme on dit. C'est-à-dire de n'importe quoi.
Ça faisait un moment que j'avais beaucoup de mal à passer les vitesses dans la Simca. De plus en plus. La seconde ça allait encore, mais impossible pour la marche arrière. Et chaque fois que je l'emmène avec moi dans cette voiture-là, Eva me dit que ma manière de la conduire, c'est un peu comme avec elle. C'est curieux ce lien qu'elle fait, mais c'est vrai qu'il faut pas mal de tact.
Ça, c'est quand tout marche bien, mais là ça craquait. C'était stressant, je craignais de casser un engrenage à vouloir passer en force. Ça doit être un problème d'embrayage, je me suis dit, et je pourrais peut-être le régler. Pas forcément pour faire mon malin dans mon coin, mais pour aller jusqu'à Véron chez le garagiste qui la connaît bien.
J'ai imaginé que c'était un câble qui se détendait alors que, plus tard, je découvrirai que non, pas du tout, que c'était tout un « circuit hydrologique » avec un bocal d'huile et des maîtres cylindre.