Google Photos synchronise, sauvegarde, je ne sais où dans un coin du cloud comme on dit maintenant, les photos de mon mobile et puis après ça il les examine, il les décortique. Sauf que des fois, il ne comprend pas trop le sens des choses. Oui, il y a pas mal de situations ou d'objets que j'ai voulu attraper à partir d'un angle particulier.
Et aussi des clichés de toi, dans des positions plutôt inhabituelles pour le commun. Ou tout simplement un greffier qui fait la sieste au soleil, les pattes en l'air. Le lapin blanc fait ça aussi, plus ou moins.
Peinture, papier de verre, tiges filetées, etc, je venais de faire pas mal d'emplettes chez Bricoman. C'est pour un volet en bois qui a fini par s'effondrer et – ça n'a pas trop de rapport – mais j'ai eu soudain une envie folle de chocolat noir.
Oui, c'est fou parce que je n'arrive pas à comprendre ma fixation sur cette substance-là et ce côté irrépressible. Comme une addiction depuis quelques temps. Trois ou quatre carrés après chaque repas. Un naturopathe m'a proposé d'essayer le chocolat pur. C'est sans sucre, m'a-t-il dit, et on en trouve dans les magasins bio ou vegan.
C'était un jour de l'été, j'avais loué chez InVivo Jardins & Loisirs une broyeuse ou un broyeur – je ne savais pas encore si c'était masculin ou féminin – bref, une machine à broyer les déchets verts. Oui, parce qu'au fil des années tous les branchages, les herbes et le compost commençaient à faire comme une colline au fond du jardin. En plus, avec le coup d'arrêt imposé à toute l'espèce humaine par le virus, le printemps avait été vraiment glorieux. Et donc de grosses branches de pruniers et de pommiers, lourdes de leurs fruits juteux, avaient ployé au fil de l'été et fini par casser. J'avais tronçonné le plus gros et ajouté à la colline les feuilles, les branchages et aussi les fruits piqués par les guêpes et plus ou moins macérés. Ça faisait de la confiture au soleil.
Il y avait aussi là-dedans des morceaux du vieux noyer qu'une tempête avait fracassé en son milieu il y deux ans.
– J'aimerais tellement que mon chien me parle.
C'est la maîtresse de Bandit qui à un moment donné nous lance ça.
Son chien c'est un Jack Russell. Comme dans The Mask. Et je lui ai dit ça juste avant. Oui, j'avais envie de l'embrasser sur la truffe son chien et c'est à ce moment-là, quand j'ai vu de près sa tâche sur la tête, que j'ai pensé à ce film.
– Ne serait-ce qu'une heure, elle ajoute toujours dans son histoire avec son chien visiblement. Tout ça parce le Jack Russell se met à parler dans The Mask. Enfin quand il met le masque.
Toi et moi on est là devant elle. Il y a aussi Snow, ton loulou de Poméranie qui danse en liberté autour de nous. Et on se croise souvent comme ça tous les cinq, au milieu de la balade du soir. Oui, devant le champ des moutons, rue de la Justice. Et alors on se parle un instant de tout et de rien, comme on dit. C'est-à-dire de n'importe quoi.
Ça faisait un moment que j'avais beaucoup de mal à passer les vitesses dans la Simca. De plus en plus. La seconde ça allait encore, mais impossible pour la marche arrière. Et chaque fois que je l'emmène avec moi dans cette voiture-là, Eva me dit que ma manière de la conduire, c'est un peu comme avec elle. C'est curieux ce lien qu'elle fait, mais c'est vrai qu'il faut pas mal de tact.
Ça, c'est quand tout marche bien, mais là ça craquait. C'était stressant, je craignais de casser un engrenage à vouloir passer en force. Ça doit être un problème d'embrayage, je me suis dit, et je pourrais peut-être le régler. Pas forcément pour faire mon malin dans mon coin, mais pour aller jusqu'à Véron chez le garagiste qui la connaît bien.
J'ai imaginé que c'était un câble qui se détendait alors que, plus tard, je découvrirai que non, pas du tout, que c'était tout un « circuit hydrologique » avec un bocal d'huile et des maîtres cylindre.
Je ne sais pas pour vous mais moi, l'autre soir, on regardait un thriller avec Eva et avec plein de suspens. Un polar français vraiment bien fait, mais je sentais bien aussi que j'avais le ventre qui se nouait, et plein de sueurs froides. Littéralement. Et c'est au moment le plus insoutenable que la Wi-Fi a soudain sauté. On a attendu un peu. Le film c'est La proie, une longue traque avec Albert Dupontel, Alice Taglioni et Sergi López, l'acteur qui jouait Un ami qui vous veut du bien. J'ai essayé de redémarrer la box mais plus rien. Il restait quinze minutes de film.
En ce moment, je ne sais pas trop pourquoi, tous les trucs « sans contact » ça m'intrigue beaucoup. C'est à la fois les dispositifs pour faire ça mais aussi ce nom-là. Sans contact !
L'autre soir par exemple, juste devant moi, il y avait une femme à la caisse chez Nicolas. Et elle a sorti son mobile pour payer sa bouteille de vin. D'ailleurs c'était peut-être du champagne, j'ai pas bien vu. Moi, j'avais choisi un demi Château Haut-Rian. Et donc, quand la femme est partie, je n'ai pas pu m'empêcher de demander à Nicolas – enfin au marchand de vin – comment elle pouvait faire un truc pareil. Oui, avec le terminal de paiement et son mobile par dessus. Il y avait même pas de ticket, je crois, tellement c'est allé vite.
J'étais en train de me laver les cheveux dans la cave avec un shampoing comme de la terre glaise. C'était poisseux, ça collait et je me mettais en colère.
Et c'est souvent comme ça le mardi matin, je fais un rêve qui me réveille et qui est une énigme toute la journée. Comme si je préparais la séance du soir sur le divan. Au tout début ça m'agaçait, j'imaginais que ma psy m'avait installé un programme qui me forçait à lui ramener des rêves. Alors j'essayais de ne pas rêver ou d'oublier mes rêves mais ça ne marchait pas. Et quand je m'allongeais je disais « aujourd'hui, j'ai un rêve » et puis j'attendais plus ou moins la fin de la séance pour le raconter. Ce n'était pas forcément pour créer du suspens mais parce que j'avais plein de turpitudes à ressasser. Un jour ma psy m'a demandé : « Pourquoi vous faites ça ? ». J'ai fini par voir que c'était une forme de marchandage et une histoire d'enfance : la peur d'être sous influence et dressé comme à neuf mois pour « être propre ». Avec ici, de la matière fraîche en direct de l'inconscient.
La petite poule noire recommence à couver mais pas seulement sur le mode de la « gestation pour autrui » comme au printemps. Non, elle a aussi ses œufs bien à elle cette fois. Trois petits de la couleur de l'ivoire. Et quatre gros de la rousse.
J'ai pris mon petit-déjeuner au bord de la mare. Une fois, tu as vu la carpe Koï sauter hors de l'eau, tu m'as dit. Oui, très haut par dessus les nénuphars et dans le soleil. Alors j'ai attendu.
Ce matin-là j'avais mis le réveil, alors forcément à un moment ça a sonné. J'ai aimé t'enlacer, te sentir dans tes courbes, te caresser dans les creux. Tout ça sans trop te réveiller et puis je n'ai pas pu m'empêcher de te mordre. Je fais bien la différence, à présent, entre le courant tendre et le courant sensuel, mais je sens que ça se mélange aussi avec une forme d'agressivité ou de violence sourde, originaire. Et, quoiqu'on en dise, tout le monde a ça au fond.
Bref, je suis sorti du lit mais tu as voulu me retenir encore un instant.
Ce jour-là, toi et moi, on se croisait dans le jardin plus ou moins au hasard. Toi, avec dans les mains des branches de rosier coupées au sécateur ou bien des touffes d'orties arrachées ici et là. Avec des gants alors. Et moi, avec la tronçonneuse, le merlin ou la brouette. À un moment, tu t'es posée pour un goûter : un café au lait et une madeleine espagnole.
– Tu sais, quand t'arrêteras d'y aller en vélo chez ta psy, alors t'auras fini ton analyse.
Je ne sais pas pourquoi tu me dis ça soudain. Juste avant tu me parlais de tout autre chose, je ne sais plus trop et je reste songeur. Tu fais souvent des liens bizarres entre les choses, alors les gens imaginent que t'es un peu chaman mais, là, tu penses sans doute que c'est dangereux pour moi tout ça.
Pas forcément ma psy ni le divan mais le vélib. C'est vrai, c'est risqué. En plus, dans mes rêves, j'ai souvent des accidents de la route. Tout seul ou avec quelqu'un d'autre, en deux-roues ou en voiture. Ça me réveille soudain et je ne comprends pas quel peut être mon désir caché ici.
Depuis quelques semaines, je casse la vaisselle. Oui, un verre à pied ou à mojito, la cloche à fromages, une tasse à thé… Visiblement, c'est parce que je fais plein de gestes maladroits. De plus en plus souvent. Surtout quand je fais la vaisselle. Bien sûr, il y a cette histoire de l'enfance, au petit matin, petit-déjeuner – lait au chocolat, pain beurré et encore des traces de rêve dans la tête sans doute. « Fais attention, tu vas renverser ton bol ! » me disait ma mère. Ça me stressait, c'était comme une prophétie auto-réalisante et donc, zouuu, patatras, la tasse toupillait et voleplanait jusqu'au sol. En mille morceaux. Mais c'est pas forcément ça, là. Non, c'est pas si simple.
– Tu as remarqué que c'est toujours des choses qui vont de pair ? me dit Eva.
C'est elle qui a acheté ces objets-là, des « coups de cœur » comme on dit, alors forcément elle s'agace et je peux comprendre. Ça me dépite moi aussi. Mais, non, je n'avais pas encore remarqué. Et, oui, c'est vrai, je brise ce qui va ensemble. Sauf la cloche à fromages, il n'y en avait pas deux comme ça. Alors j'essaie de racheter chaque pièce brisée, comme pour me racheter peut-être, mais c'est compliqué de retrouver l'origine des choses. Et donc tout devient dépareillé dans la cuisine.
– C'est parce que tu veux encore séparer ou casser le couple, ajoute Eva.