Ce matin-là j'avais mis le réveil, alors forcément à un moment ça a sonné. J'ai aimé t'enlacer, te sentir dans tes courbes, te caresser dans les creux. Tout ça sans trop te réveiller et puis je n'ai pas pu m'empêcher de te mordre. Je fais bien la différence, à présent, entre le courant tendre et le courant sensuel, mais je sens que ça se mélange aussi avec une forme d'agressivité ou de violence sourde, originaire. Et, quoiqu'on en dise, tout le monde a ça au fond.
Bref, je suis sorti du lit mais tu as voulu me retenir encore un instant.
– Dis, tu veux pas essayer de te dédoubler ? tu as murmuré, comme si tu étais encore dans un rêve.
J'ai trouvé ça très saugrenu mais il est vrai que des fois, alors que tu as tous tes esprits, tu me demandes ça aussi. Et tu insistes.
Pourquoi ne pas essayer, j'ai pensé. Je sais tellement bien me cacher, et même disparaître, je dois pouvoir faire tout le contraire, me diviser ou me multiplier. Et puis, ce matin-là, j'avais juste deux séances à la ville alors je serais vite de retour. Et donc j'ai tenté l'expérience. Oui, je t'ai laissé un double. Le double de moi. Entre tes bras. Ou l'inverse peut-être.
Sur le chemin vers la ville, c'était un peu bizarre, comme si j'étais ailleurs. Soudain, j'ai cru entendre plein d'eau couler dans la Simca. Mais j'ai continué. Et il y a eu dans l'air un parfum de fleurs d'oranger.
Pendant les séances, chaque patient a parlé un instant de son psychiatre. Là aussi, c'était un peu comme une histoire de double, j'ai pensé. Oui, d'un côté la chimie sur ordonnance parce que ça soulage des hauts et des bas de la vie et, de l'autre côté, juste les mots. Avec aussi tout ce qu'il y a dedans et autour, pendant la séance et puis après, et qui peut faire quelque chose à la longue, mais sans trop savoir ni quoi ni comment alors. Ce n'est pas prouvé scientifiquement.
À un moment, j'ai eu sur le bout de la langue la saveur du poivron et de la tomate, tout ça revenu dans l'huile d'olive avec des oignons nouveaux.
Quand je suis venu te retrouver au soleil, j'ai repensé au double que je t'avais laissé au matin. Je l'ai cherché un peu partout, entre les draps, sous le lit, et aussi dans la baignoire parce que visiblement tu avais pris un bain. À la fleur d'oranger. Mais rien ! Il s'était peut-être caché.
Et, pour déjeuner, tu avais préparé des tagliatelles avec des tomates, des poivrons et quelques oignons nouveaux.
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La photo, là, c'est quand je prépare de la pâte piment, ça va bien avec les tagliatelles aussi. Et c'est parce qu'il y a une forme de sensualité aussi dans la nourriture, dans la manière de faire la cuisine.