- Je suis avocat d'affaires et j'ai des soucis à l'âme, annonce-t-elle au téléphone. J'avais votre numéro là, sur mon bureau, depuis longtemps déjà, mais sans jamais oser vous appeler.
- Il vous faudra gravir cent marches pour arriver jusqu'ici, répond-il. Et le quartier est plutôt malfamé !
Ici, pour cultiver le dur et le laid, dès la plus tendre enfance, ils ont bétonné le square.
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Elle a tricoté son écharpe avec cette laine bouclée, brute et un peu rugueuse, dont sont faits les doudous parfois.
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Des taches de rousseur posées çà et là sur ses joues, sur son nez. Déposées par un ange amoureux, de la pointe du doigt ou des lèvres. Et ici, dans sa chair, un sillon presque invisible. Le chemin des larmes.
Le manager minute. Pour en finir avec la femme. Le livre noir de la psychanalyse… Ce sont quelques uns des livres que j'aime déposer là, sur une chaise, dans cette laverie sur le chemin de l'atelier. Des livres oubliés dans mon grenier, offerts jadis par des confrères qui me voulaient du bien et que jamais je n'ai trouvé le goût de lire.
La merveille et l'obscur. Le goût des jardins. Donne-moi quelque chose qui ne meure pas… Ce sont des livres que, le jour d'après, je découvre là sur la même chaise. Il y a entre les pages parfois cornées un parfum inconnu et sensuel.
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Elle est tombée amoureuse de celui qu'elle aimait tant initier à son art. Enfin, peut-être pas vraiment de lui, mais de l'artiste qu'elle devinait en lui. Elle est souffleuse de verre. Entre les étoiles suspendues, les queues de chat et les coupes folles, lui aussi est tombé en amour avec elle. Rencontre d'âme à âme et de cœur à cœur, pensait-elle.
Arabesques et entrechats, révérences et sauts de biche, du plancher piqué jusqu'au toit de verre fin, tout ici tremble et se trouble quand, juste au dessous, les danseuses s'initient à l'unisson.
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Elle aime lui murmurer au creux de l'oreille des mots délicieusement tabous. Elle voudrait le faire rougir. En vain. Il sourit de la voir s'amuser de ces petites transgressions. Et là, maintenant, elle frémit de ses mots interdits. Ça lui fait l'effet des chatouilles.
« Dis-moi, quelles bêtises aimais-tu faire quand tu étais enfant ? » lui demande-t-il. Elle fronce les sourcils. Long, très long silence. C'est comme s'il avait frappé à la porte d'une maison depuis longtemps inhabitée.
Sur le chemin du retour, l'envie me vient de lui parler du parfum de soi. Note de cœur, unique, au creux de la peau. Les alchimistes désespèrent d'en découvrir le secret. Les tueurs en série aussi. Elle me confie que ce parfum-là a sur elle les effets d'un doudou. Présent à jamais. Infiniment.
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Elle vit l'entre-séance comme une absence. « Cruauté du silence » écrit-elle. Et, quand ses mots partent à travers les ondes, son iDoudou vibre au creux de sa main, casse un instant le silence.
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Il est en Yoga une respiration qui, dit-elle, « apaise des grandes soifs de la vie ». Sitali. Dans la position du lotus, il faut à chaque inspire, longue, profonde, aimer tirer la langue.
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Saison rousse. Un peintre poète se cache dans le feuillage des châtaigniers, des acacias et des chênes posés là depuis longtemps, le long de l'autoroute. Il y a dans l'air la douceur des lèvres d'une femme juste avant le premier baiser. Et soudain, devant moi, le camion pile et zigzague un instant.
Elle se sent souvent démunie devant celui qu'elle accompagne. Elle n'a pas encore appris à écouter entre les mots et les regards, entre les gestes et les silences, le manque et le besoin de tendresse. Ni au fond d'elle-même ni en l'autre. Ni à l'école du coaching ni ailleurs.
Alors, lui, de séance en séance, comme pour l'initier, apporte ici des morceaux oubliés de son histoire. Et aussi son doudou, parfois. C'est un nounours, éclopé, râpé, retrouvé dans la maison de son enfance.
Aujourd'hui, il l'a laissé là, sur le sofa, entre les coussins de velours. Odeurs de grenier et saveurs d'enfance dans le pelage usé. Alors, elle le met à tremper dans l'eau de Javel.
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