C'était un dirigeant qui venait d'une tribu aux mœurs réputées guerrières. La rumeur racontait que c'était un HiPo Haut Potentiel recruté pour son leadership et son art de conquérir de nouveaux marchés.
Pendant les premiers mois, chacun dans son équipe, inquiet, l'observa déployer son étrange artillerie aux appellations contrôlées : évaluations à 360°, profils Process Com ®, war rooms…
Fragment d'instant, dans le train qui quitte la nuit. Sitôt assis, du bout des doigts, chacun caresse en silence l'écran de cet objet lumineux qui semble sacré. Et elle, au milieu d'eux, murmure du bout des lèvres les mots d'une autre langue, le visage plongé dans les pages d'un livre sacré.
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Cette amie qui a le talent d'animer des groupes de thérapie pour coachs me parle de son superviseur. « Il aime distinguer, me dit-elle, trois types de coach dans notre tribu : le Policier, le Plombier et le Poète ! »
Sur la neige, dans les sous bois, je devine la trace de l'ange qui, en silence, aime marcher en ma compagnie.
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Elle est habillée tout en noir, de la pointe de ses pieds, chaussés d'escarpins, jusqu'à ses longs cheveux qu'elle a noués d'un ruban de velours. Elle s'est assise sur le divan. Elle ne sait pas que l'immense coussin blanc, dans son dos, lui dessine les ailes d'un papillon. Création éphémère.
Entre plaisir et nostalgie, ultime séance avec la femme au ruban dans les cheveux. Saveur singulière de l'année qui prend fin.
Je l'entends courir entre les tâches de neige dans la cour pavée.
Son envie aujourd'hui ? Renoncer à la morsure du manque. Inventer alors un jeu à deux, ni tête à tête ni corps à corps. Un combat non symbolique et non sanglant. Et découvrir l'empreinte de la tendresse.
Écrire un texto est parfois aussi poétique que poser quelques lignes sur les pages d'un Moleskine.
Fragments intimes de sms…
Elle parle soudain des moments où elle aime peindre. Ces instants où le besoin irrépressible de créer la prend. « C'est comme une pulsion, dit-elle. Une pulsion animale, un élan qui vient de loin. » Elle s'arrête, m'observe un instant. A-t-elle deviné ma surprise et mon trouble ? Elle nomme ici ce que je vis parfois quand j'écris, quand je laisse ma main vagabonder sur le coin d'une feuille.
Aujourd'hui, la femme aux yeux de chat me parle tout à la fois de sa lassitude et de son désir. Elle se fatigue elle-même de « vouloir toujours maîtriser les autres, de chercher à dominer les hommes ». Elle a envie d'expérimenter l'opposé. De faire l'expérience de tout le contraire, ne serait-ce qu'une fois, ici, avec moi. Avec moi qui, dit-elle, aime « jouer et danser avec les contraires ! ».
« Ça, c'est l'une des formes du transfert » tente-t-il d'expliquer. Long silence. Alors il croit bon d'ajouter : « Et vous me payez pour gérer ça : pour ne pas tomber amoureux de vous ! » Elle se met en colère. Il essaie autre chose : « C'est peut-être de votre désir dont vous avez peur ? » Il entend ses sanglots. Alors, plutôt que continuer là maintenant, avec lui, il l'invite à chercher de quelle part d'elle-même elle est tombée amoureuse. Et de choisir de revenir ou pas.
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Le signal retentit, elle lève soudain la tête de son livre. Elle semble revenir d'un songe lointain. Et d'un bond d'un seul, élégante, comme une biche, elle se glisse entre les portes qui déjà se ferment.
A cette amie qui aime écouter le chant des étoiles, je demande : « Que diras-tu quand l'ange qui, depuis ton premier souffle, le jour comme la nuit, aime veiller sur ton âme, quand ton ange gardien prendra avec toi congé de la vie ? » Elle me regarde, ferme un instant les étoiles de ses yeux puis me souffle : « Ouf ! »
Elle choisi la tarte aux fruits de saison et demande un café. Elle me dit : « J'aurais aimé être ton éditrice ! » Troublé, comme chaque fois qu'elle parle d'écriture, je détourne un instant le regard, contemple le visage de la jeune femme qui note sa commande, la chair douce et ronde de ses joues. Puis elle me raconte comment, dans sa vie d'avant, elle découvrait des auteurs, éditait des livres pour enfants. Je crois comprendre ce qui me trouble. Écrire c'est peut-être rejoindre la part d'enfance que je croyais oubliée à jamais. L'accès à la mémoire ancienne est fermé mais la musique de l'âme est toujours présente. Là, sous les doigts, entre les mots à l'encre bleue. Et c'est peut-être ça qui la touche aussi. Sa part d'enfance à elle.