Elle est tombée amoureuse de celui qu'elle aimait tant initier à son art. Enfin, peut-être pas vraiment de lui, mais de l'artiste qu'elle devinait en lui. Elle est souffleuse de verre. Entre les étoiles suspendues, les queues de chat et les coupes folles, lui aussi est tombé en amour avec elle. Rencontre d'âme à âme et de cœur à cœur, pensait-elle.
Alors, d'un commun accord, d'un commun désir, ils ont délaissé l'art du feu. Rencontre de corps à corps. En forêt, un matin d'été. Au soleil, dans le cours d'une rivière. Sous la pluie, dans un jardin anglais. Encore et encore. Et ainsi d'un printemps à l'autre.
Aujourd'hui, il est devenu l'artiste qu'elle devinait. Il crée des fleurs de verre, des bijoux et des vitraux. Mais il y a au fond de lui un manque qui le ronge. Il voudrait plus. Plus de notoriété, plus vite. Beaucoup plus, avant que la mort ne le jette, d'un coup bas, dans l'horreur du néant. Et c'est elle qu'il a jetée aux oubliettes. Trop occupé à nourrir son manque, il ne la voit presque plus. Et pourtant, si un jour ça s'arrête entre nous, lui disait-il, nous resterons amis à jamais.
Elle est toujours amoureuse. Enfin, elle ne sait plus vraiment ? Sa présence et sa peau, sa voix et son goût, lui manquent. Cruellement.
Alors une question me vient : « Peut-être aimez-vous être amoureuse du manque. Du manque en lui, du manque en vous. » Elle reste soudain silencieuse, comme hébétée.
Et puis elle a terminé sa tasse, glissé un billet sous la théière de porcelaine et elle est partie. J'étais venu ici, dans le jardin du musée, pour rêver ou écrire entre deux séances.
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