À un moment, il a parlé d'indiens qui font tout à l'envers, qui mettent le haut en bas, les choses sens dessus dessous. Les "Heyokas" il a dit et puis il a donné des exemples : ils scrutent l'horizon en tournant le dos et en regardant le sol ; s'il y a une porte ils passent par la fenêtre ; ils se lavent avec de la terre et se sèchent avec de l'eau, etc.
Tiens, l'inconscient marche aussi comme ça, j'ai pensé. Et lui voulait peut-être faire des choses à l'envers, ici ou ailleurs.
Donc, j'étais bien accroché par cette histoire d'indiens, mais comme c'était en séance je n'ai pas voulu montrer que j'étais curieux. Oui, parce que si je demande des explications, ça coupe le fil des associations libres, ça empêche l'autre d'aller là où il veut en venir. Et il ne vient pas là pour ça. Sauf si, mine de rien – enfin, par le jeu du transfert –, il veut faire son intéressant, il cherche à m'intéresser. Mais c'est plutôt inconscient alors.
Je n'ai quand même pas pu m'empêcher de lui demander comment ça s'écrivait ce nom-là pour chercher après la séance. Il a épellé et il a même dessiné les lettres dans l'air avec son index comme sur un tableau invisible : H E Y O K A. Mais comme c'était du sioux il a précisé, je n'ai pas retenu car j'ai toujours du mal avec les langues étrangères. Alors je l'ai laissé continuer.
Et donc, c'est une amie à lui qui s'intéresse à ces indiens-là, ils sont aussi appelés « êtres contraires » parce qu'ils incarnent la contradiction et ils agissent toujours à l'opposé des autres et de la norme de la société sioux. Ils sont aussi considérés comme des guérisseurs. Son amie se dit « coach paradoxale » et elle lui a renvoyé un feedback dans cette veine-là : s'il s'était spécialisé dans les problèmes de sécurité, c'est parce que lui-même avait besoin de sécurité au fond. De sécurité intérieure. J'ai trouvé ça un peu court mais les coachs font souvent des trucs comme ça, pas très subtils, au premier degré. Ils ont toujours besoin de donner du feedback avec, en plus, un côté magique ou mystique pour faire genre.
Surtout que lui, du côté des trucs à l'envers ou tordus, une autre fois, il avait évoqué ici une histoire bien plus intéressante. Oui, quand il donnait des formations en sécurité incendie, il montrait aux équipes qu'on pouvait allumer une bonbonne de gaz à son embouchure, alors que c'est plutôt dangereux, surtout quand il y a du vent. Mais il vérifiait la météo le matin au doigt mouillé et puis il retournait la bouteille de gaz qui envoyait une flamme à plus de quatre mètres devant le groupe.
Une autre fois, il a parlé de son père qui travaillait aussi dans le domaine de la sécurité. À un poste très élevé dans l'organigramme. Un jour, il y a eu un incendie grave dans une usine et ça a très mal tourné. Alors, plutôt que le contraire, il voulait peut-être faire exactement comme son père au fond. Se rapprocher de lui.
D'ailleurs, juste avant son histoire d'indiens avec la coach paradoxale, il parlait d'un recrutement qui avait capoté hélas. Oui, il avait été repéré par un chasseur de tête sur un site de rencontres, enfin sur LinkedIn. C'était pour un poste attaché au DG. Mais finalement, c'est un autre qui a été pris, parce que lui n'était pas assez « rentre-dedans ». Pas assez de « leadership » !
Et là, maintenant, avec dans sa tête le feedback de la coach, et moi qui ne disait rien, il essayait de regarder son besoin de sécurité intérieure. J'ai juste dit que, dans son histoire de recrutement, à part la coach, il semblait n'y avoir que des hommes. Il a confirmé et moi alors avec tous les mots qu'il venait de poser – capoté, attaché, rentre-dedans, pris, pas pris, etc –, moi ça m'a fait penser à plein de fantasmes. Oui, dans le registre du sexuel ou du violent. Parce que c'est ça aussi l'envers des choses. Tout ce qui se trame dans les coulisses, du côté de l'inconscient. Et donc c'était tout sauf le contraire.
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La photo, là, c'est celle d'un indien heyoka que j'ai cherchée, trouvée sur la toile.