Ce jour-là, toi et moi, on se croisait dans le jardin plus ou moins au hasard. Toi, avec dans les mains des branches de rosier coupées au sécateur ou bien des touffes d'orties arrachées ici et là. Avec des gants alors. Et moi, avec la tronçonneuse, le merlin ou la brouette. À un moment, tu t'es posée pour un goûter : un café au lait et une madeleine espagnole.
Et quand à la fin, on s'est vraiment retrouvé, tu m'as dit : « Tu sais, quand je te croise, moi j'aime bien faire un ou deux pas vers toi pour te faire un baiser. »
Oui, j'ai vu ça et donc ce n'est pas un hasard nos trajectoires qui s'entrelacent, je me suis dit. Mais c'est vrai, moi, je préfère me laisser faire. Ça vient de loin sans doute, non pas une attente mais comme un évitement de l'autre au fond. Avec alors tout la panoplie du tueur en série : la tronçonneuse thermique, le merlin, etc.
« Mais toi, tu ne fais jamais ça avec moi, tu as ajouté. Et donc je te dis ça avant qu'il ne soit trop tard ! »
Ça sonnait comme une menace tes mots soudain mais ça venait peut-être aussi d'une inquiétude au fond. Je ne peux pas savoir pour toi mais j'ai pris ça comme matière à penser. Comme si le jardin était aussi un terrain grandeur nature pour déplier des histoires intimes, mettre au jour des formes familières d'accordage.
Et ça peut sembler sans rapport mais je me souviens de cette coach qui t'avait suivie de bien près quand tu es allée au potager pour prendre une romaine ou une batavia. Parce qu'elle faisait ça avec sa grand-mère. Oui, quand elle était enfant, elle t'avait dit.
Et puis une autre fois, on avait proposé aux coachs une petite balade sur le sentier des chèvres. Et une femme t'avait bien collée aussi. Soudain elle a soulevé sa jupe au bord du chemin, elle s'est accroupie, ou plutôt l'inverse, et elle t'a dit : « Attendez-moi, je fais pipi ».
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La photo, c'est parce que c'est aussi là, au fond du jardin, que nos trajectoires se croisent.