J'étais en train de me laver les cheveux dans la cave avec un shampoing comme de la terre glaise. C'était poisseux, ça collait et je me mettais en colère.
Et c'est souvent comme ça le mardi matin, je fais un rêve qui me réveille et qui est une énigme toute la journée. Comme si je préparais la séance du soir sur le divan. Au tout début ça m'agaçait, j'imaginais que ma psy m'avait installé un programme qui me forçait à lui ramener des rêves. Alors j'essayais de ne pas rêver ou d'oublier mes rêves mais ça ne marchait pas. Et quand je m'allongeais je disais « aujourd'hui, j'ai un rêve » et puis j'attendais plus ou moins la fin de la séance pour le raconter. Ce n'était pas forcément pour créer du suspens mais parce que j'avais plein de turpitudes à ressasser. Un jour ma psy m'a demandé : « Pourquoi vous faites ça ? ». J'ai fini par voir que c'était une forme de marchandage et une histoire d'enfance : la peur d'être sous influence et dressé comme à neuf mois pour « être propre ». Avec ici, de la matière fraîche en direct de l'inconscient.
Bref. Je suis parti vers la ville pour les séances du matin. Sur le chemin j'ai aperçu l'happycultrice – oui, elle écrit son métier comme ça –, elle promenait son chien et j'ai repensé à mon rêve. Parce que l'été dernier cette femme-là nous avait offert du miel de fleurs d'acacia et de l'argile du hameau. Je ne savais pas du tout à quoi ça servait. « Ça sert à tout ! » elle avait répondu. Pour la peau, pour le ventre, en poudrage, en cataplasme, etc. Et pourquoi pas pour les cheveux j'ai pensé, et donc la terre glaise dans mon rêve c'était peut-être plutôt de l'argile.
Mais c'est surtout la colère qui m'a réveillé, alors ce rêve-là a peut-être un lien avec une autre énigme qui m'agite en ce moment. Oui, il y a beaucoup de violence autour de moi, j'essaie de faire la part des choses entre les autres et moi, mais c'est toujours très emmêlé. Et j'ai l'impression que la violence est d'origine biologique, dans l'ADN de chacun. J'accompagne des hommes qui se débattent aussi avec cette question-là. L'un d'eux parle d'ultra-violence. Ma psy me dit que croire à une origine organique c'est rester attaché à la violence alors que c'est le résultat du développement psycho-affectif du bébé selon son milieu. Il y a une psychanalyste d'enfants, Mélanie Klein, qui s'est intéressée de près à ça. Pour elle, le nourrisson a une forme de sadisme originel face à sa mère qu'il voit comme toute puissante mais sa haine va se transformer en amour, avec pas mal d'ambivalence toujours. Je chercherai à en savoir plus sur son travail, je me suis dit.
Arrivé à la ville, j'ai garé la voiture devant le cabinet des sages-femmes. J'aime bien ce coin-là, il y a un passage un peu sombre, un peu étroit, qui va je ne sais où. Et puis j'ai fait un détour par la rue des métiers d'art. Ce n'est pas vraiment le nom de la rue, plutôt une appellation parce qu'il y a ici un luthier, une restauratrice de fresques d'églises, une prostituée chinoise et aussi un armurier. Des fois, je m'arrête un bon moment devant la vitrine parce que j'aimerais m'acheter l'un des couteaux avec une abeille dessus. Un Lagiole. Ce serait pour découper de la viande ou du fromage mais j'ai encore trop peur de moi. Oui, peur de commettre un meurtre. Et donc ce matin-là, j'ai encore fait ça. J'ai regardé dans la boutique, mais je n'avais pas confiance en moi alors j'ai continué mon chemin jusqu'au bar du coin. J'ai pensé que j'en aurai fini avec ma psy quand je pourrai enfin m'acheter un couteau comme ça. J'ai commandé un café au comptoir. Le patron a ajouté un shot avec du jus d'orange dedans parce que c'est comme ça ici le matin.
Il y avait Angèle sur la plage en combinaison de ski, enfin sur RFM TV. « Le spleen n'est plus à la mode, c'est pas compliqué d'être heureux… » Elle chantait avec son frère Roméo Elvis. « Tout, il faudrait tout oublier… On joue, mais là, j'ai trop joué. » Ces deux-là s'entendent vraiment bien, je me suis dit.
J'ai sorti mon mobile pour rechercher des articles sur les origines de la violence.
@sophieaufondutono a commencé à vous suivre. C'était une notification Instagram. J'ai voulu savoir ce qui poussait une femme à prendre un pseudo pareil et à s'intéresser au fond des choses. J'ai reconnu une étudiante du master coaching à la fac.
Et puis j'ai consulté Google. J'ai vu que la mère de Mélanie Klein tenait un commerce de plantes et de reptiles. Mais c'est surtout un article sur le complexe fraternel qui m'a accroché. Ça commençait avec un enfant qui disait : « Maman, si on mettait Julie au vide-ordures, parce que je crains qu'elle ne te donne trop de travail ! » C'était un autre angle que l'agressivité du nourrisson face à sa mère. Mais c'était l'heure de la première séance alors j'ai bu le shot d'orange et j'ai filé.
Le midi, quand j'ai repris ma voiture devant le cabinet des sages-femmes, je me suis rappelé que dans mon rêve il y avait beaucoup de monde dans la cave autour de moi. Plutôt des enfants. Plein d'enfants. Et c'est ça qui me mettait en rage au fond. Et je ne sais pas si c'est réel ou si c'est un faux souvenir – de toute façon, tous nos souvenirs sont plus ou moins reconstruits – mais j'ai dans la tête, depuis longtemps, l'image d'une sage-femme qui était venue quand ma mère a accouché de mon plus jeune frère. J'avais cinq ans, je revenais de l'école, j'ai aperçu des bassines d'eau chaude dans la cuisine. Et puis les voisins sont venus me chercher pour me garder. C'est peut-être pour ça que je voulais me laver la tête avec de la glaise ou de l'argile du hameau, pour effacer l'image.
Quand je me suis allongé sur le divan, le soir, j'ai dit : « Aujourd'hui, j'ai un rêve ». J'étais un peu inquiet quand même parce que j'allais sans doute remonter quelques pas plus loin vers l'origine de la violence.
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La photo, là, c'est une photo d'identité. En enfance.