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SEP 21

Un pull pour l'hiver

Sortie métro Cambronne. La jeune femme était juste devant moi avec, dans son sac, deux longues aiguilles à tricoter plantées dans son ouvrage du moment. Un pull mohair pour l'hiver visiblement. J'ai un peu flippé quand même. Oui, à cause des deux pointes vers le haut. Elle aurait pu les protéger d'un bouchon de liège. Et je l'ai imaginée un instant plus ou moins meurtrière. Mais c'était projectif bien sûr. On a tous cette envie-là inavouable de piquer la chair. Enfin, plus ou moins sans doute.
 
Il faut dire aussi que, là, j'allais sur le divan. Et dans ces moments-là, il y a pas mal de choses qui tout d'un coup s'agitent. Oui, je m'accroche à des trucs au-dehors qui en disent long sur ce qui sourde au-dedans.
 
C'est comme les rêves, la nuit. On prend quelques pièces du puzzle de notre journée et on en fait toute une histoire. Entre désir et censure.
Et ce soir-là, j'avais un rêve que je voulais absolument détricoter justement. C'était place des Vosges, dans une sorte de galerie d'art. Et il y avait ma psy dans le rôle principal, elle portait un cardigan gris à mailles fines. C'est comme ça pendant la cure, le psy est toujours aux premières loges dans nos rêves. Et on se trompe d'adresse alors.
 
Bref. Une fois sur le divan, j'ai commencé à raconter mon rêve et, à un moment donné, l'image de la femme aux aiguilles m'est revenue.
– Les aiguilles à tricoter c'est aussi pour tuer les bébés, a dit ma psy.
– Oui, les faiseuses d'ange, j'ai répondu.
C'est vrai qu'il y a pas mal de rumeurs comme ça dans mon histoire familiale, mais ce n'est pas sur ce fil-là que j'avais envie de tirer ce soir. Comme une défense peut-être. Et parce qu'à ce moment-là, c'est tout l'univers du tricot qui soudain me revenait. Les dessus de lit au crochet, les pulls pour l'hiver faits à la machine, les motifs jacquard, tout ça plus ou moins en série...
– Est-ce qu'on peut écrire « made with love » sur un pull fait à la machine ? je me suis demandé.
Ce n'était pas vraiment une question mais ma psy, qui ne fait jamais ça d'habitude, là elle a répondu. Un peu à ma place donc. Pour ne pas laisser ces choses-là en l'air peut-être.
Et j'ai continué de débobiner mon rêve. J'ai retrouvé le « code source » du cardigan gris à mailles très fines, très élégant. Oui, c'est le vêtement des prêtres en civil, je crois. En tout cas, un cousin qui était père jésuite portait ça lorsqu'il venait déjeuner le dimanche en enfance. Mon père, lui, avait des gilets sans manche. À motifs jacquard.
 
De retour dans la rue, j'ai repensé à la femme du métro aux aiguilles. Ce n'est pas forcément le meurtre au fond. Oui, comme dans l'inconscient, tout se retourne, j'ai aussi pensé aux aiguilles vers le bas. Aux femmes qui aiment porter des talons aiguilles.
Et puis aussi aux seins qui pointent. Vers le haut.
 
***
 
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