Les écoles de coaching affichent d'emblée la nécessité pour tout apprenti-coach d'entreprendre un « travail sur soi », au plus tôt et par-delà l'école. Et cela pour cultiver une plus claire conscience de son histoire personnelle et de ses résonances en séance. Mais rares sont les indications sur la nature de ce travail : thérapie ou psychanalyse ? En face à face ou sur le divan ? En individuel ou en groupe ?
S'il n'y a ni guide ni boussole ici, j'aime croire que c'est parce que les détours et les impasses, les évitements et les échappées belles font partie du voyage. Et à chacun son voyage, comme un parcours initiatique.
C'est un autre extrait d'une contribution toute personnelle au prochain ouvrage collectif en peuple coach, sous la direction de Thierry Chavel, et que j'ai évoqué ici : Vocation ou répétition ?
Eclipse de mémoire
Quand elle entre à l'école du coaching, Gabrielle choisit une thérapie brève. Cela lui semble bien dans l'esprit du coaching : un objectif tangible, une approche résolutoire et une durée limitée. Elle est supervisée, elle a déjà suivi de nombreux stages de développement personnel et s'est formée aux basics du peuple coach : PNL, communication non violente, systémique familiale...
Et c'est avec une demande singulière qu'elle arrive à sa première séance : « J'aimerais retrouver un peu des souvenirs de mon enfance : les dix premières années de ma vie jusqu'alors cachées ou oubliées hélas, mais sans trop savoir pourquoi. » Pour ça, la thérapeute lui suggère d'aller voir ailleurs. Mais Gabrielle préfère oublier encore son histoire ancienne et apporte en séance ce qu'elle vit avec ses clients du moment et de longtemps ; des entreprises où se déploie dans les coulisses une violence qui lui semble ordinaire : les rapports de force toujours, les conflits souvent, le harcèlement parfois…
Elle est tout à la fois attirée et effrayée par ces mondes barbares où elle a le talent d'apaiser un peu les conflits et de traverser, cahin caha, les crises et le chaos. C'est pour elle douloureux mais confusément familier.
Une relation sécure et inédite
Les techniques de sa thérapeute, ici - les recadrages (« le rapport de force comme une forme du lien, parfois »), des prescriptions paradoxales (« oser le conflit plutôt que le fuir »), l'approche comportementale (« cultiver les moments ressource ») - ne font pas long feu avec Gabrielle. « Non, je ne vous résiste pas, soutient-elle. Au contraire ! » Car c'est la relation singulière qui se crée entre elles qui l'apaise au fond ; une relation ni clinique ni interventionniste, mais sécure et inédite pour elle. Une manière d'être en lien, sans savoir ni vouloir, dont elle s'imprègne aussi pour aller dans l'entreprise, là où la violence bat son plein : harcèlement inversé, burn-out, tentatives de suicide…
Alors, de séance en séance, la thérapeute perd aussi un peu la mémoire, la mémoire de ses techniques. Et finalement cette thérapie brève va durer bien plus d'une année.
Mais ça s'arrête soudain parce que les situations difficiles, un instant résolues, resurgissent avec plus d'intensité et plus près de Gabrielle : avec ceux qu'elle choisit comme partenaires d'affaires. Ainsi, une coopération de longtemps qui vire au bras de fer destructeur ; un contrat en sous-traitance qui ressemble à un jeu sado-maso… Tout cela fait ressurgir des morceaux d'un passé douloureux mais qui restent comme les pièces éparses d'un puzzle. Alors, Gabrielle arrête avec sa thérapeute comme le font parfois ses clients et ses partenaires : d'un coup d'un seul, sans plus de mots et pour aller voir ailleurs. De la fusion à la rupture, comme une autre histoire familière.
Développeur de potentiel ou médiateur, entraîneur ou médecin de l'âme, communication non violente ou combat thérapeutique… La spécialité du coach, sa posture et les approches qu'il choisit parlent tout à la fois de ce qu'il cherche à résoudre et de son talent. C'est pourquoi il se développe dans des univers professionnels qui ont un « air de famille » avec ses blessures. C'est là qu'il peut à la fois rejouer son histoire et tenter de la dépasser. Mais sans l'aide d'un autre c'est illusoire.
C'est le besoin de sécurité affective qui est parfois à l'origine première du désir d'accompagner. Bienveillance, non jugement, acceptation inconditionnelle… ce sont les maîtres-mots du coach qui aime donner aux autres ce qui jadis a fait défaut, un peu, beaucoup, à la folie… Cela lui permet de se restaurer un peu aussi ; un peu seulement, car sans la claire conscience de ce manque, l'élan vers les autres reste avide et laisse un goût de vide après les séances.
Les thérapies comportementales soulagent un instant et un peu plus, mais elles laissent intactes et dans l'ombre les blessures anciennes. Un coach ne peut pas accompagner ni se développer durablement dans son métier, si lui-même n'est pas accompagné en profondeur.
A retenir
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En photo : des saumons ; un animal qui aime remonter vers le lieu de sa naissance.