24
MAI 15

Je t'ouvre ma maison

Pour retourner là-bas, en ces jardins dont tu as encore peur hélas d'être chassée, tu as aimé enfiler une robe de soie et de la couleur du sang après la vie. Avec une ceinture nouée nonchalamment dans le dos. Comme une invitation à te prendre, là, par la taille.
J'ai deviné que par-dessous, pour couvrir tes fesses et ta mangue, rien. 
Parce que c'est le week end, as-tu murmuré. Comme une évidence.
Et pourtant il faisait tellement frais au dehors. J'ai hésité à glisser ma main dans le creux de tes jambes, tout doucement, et ne serait-ce qu'un instant. J'ai hésité parce que ça te chamboule alors et au dedans. Et puis, après, ça risque de se terminer en expédition sous-marine, dis-tu.

On est parti dans ton auto-tamponneuse à moteur thermique.
J'ai aimé t'envisager et puis me perdre du côté passager de ton visage. On a traversé des terres enfin inhabitées. Et tu me racontais des histoires tristes de l'enfance. Tu avais oublié de brancher la clim pour aérer.

Une fois arrivés là, au beau milieu des champs de blé et de colza, à la lisière de la forêt, tu as préparé des pâtes fraîches avec de la coriandre à fleur de pot. On a déjeuné sous les nuages, devant la mare et les premiers nénuphars.
Les grenouilles faisaient l'amour et chantaient 
Vagabond ways de Marianne Faithfull. Les deux poules ont dansé un instant autour de nous. Un peu comme dans les booms, quand la lumière hache le mouvement, as-tu remarqué.

La pluie est venue tout doucement.
Et toi, tu es partie te glisser entre les draps, dans le lit sous le toit.
Viens, je t'ouvre ma maison, as-tu murmuré.

***

Des moments comme ça surgissent parfois sous mes doigts. C'est spleenétique ou érotique ces moments-là. Mais je préfère les cacher. Là où ça ne se voit pas trop. Parce que ça casse mon image, je me dis. Et puis parce qu'il y a des coachs qui aiment me suivre, sur mon blog ou en supervision, mais qui n'aiment pas ces écrits-là, vagabonds et sans censure.
D'ailleurs certains se désabonnent et quittent parfois la supervision : "Avec Eva et la psychanalyse, les barbares ou les flibustiers du lien, tu files vraiment un mauvais coton, André !", ils me lancent, le regard mauvais ou lubrique. Parce qu'il y a des photos du jardin d'Eden qui accompagnent aussi ces instants-là.

Mais par les temps qui courent, de plus en plus de coachs, certifiés, tatoués, tirent le diable par la queue ; parce qu'il y a tout à la fois de plus en plus de coachs, certifiés, tatoués, et que les entreprises veulent se libérer et que la réforme de la formation chamboule tous ceux qui ont fait de la formation leur source de revenus, complémentaire ou principale. Alors certains se jettent sur "L'entreprise libérée" comme un nouveau filon. Mais ces coachs-là devront d'abord se libérer : apprendre à danser avec leurs fantasmes et leurs inhibitions, leur nature humaine. Sauvage et sensible au fond.

Pour me libérer moi aussi, j'ai le divan et plein de remue-mémoire. Timehop par exemple, c'est une petite appli qui chaque matin fouine et fourrage sur la toile et dans mon smartphone, et me remets alors sous le nez les moments que j'avais cachés les années d'avant. 
"Viens, je t'ouvre ma maison" est l'un de ces moments libres, étonnants. C'était il y a deux ans.