L'autre jour, j'avais creusé sous le soleil, profondément, pour planter deux poteaux de bois et, à présent, pour continuer, j'avais besoin d'un niveau à bulle.
Mais je l'ai laissé dans la cave de ma vie d'avant mon niveau à bulle.
(C'est peut-être pour ça que tu prends des photos de travers ?! me dit un ami, pour me taquiner. Mais c'est pas pour ça, c'est parce que je trouve qu'on m'a regardé de travers quand j'étais petit ; enfin, j'arrivais pas à savoir ce qu'il y avait vraiment dans le regard des grands autour de moi).
Le niveau à bulle, là, c'était pour fignoler une nouvelle création au jardin, enfin pour une construction de bois entre le jardin et la rue.
– Ah oui ! un peu comme dans les arènes d'une corrida ? tu m'as dit quand tu as imaginé ce que je voulais faire là.
Moi, la corrida c'est pas du tout mon truc mais j'aime beaucoup tes références. Ta différence. Et j'apprends à aimer l'étranger ainsi.
Et quand je questionne ça, tu me racontes des histoires de ton enfance. Là, tu m'as parlé des corridas que tu allais voir avec ton grand-père. En vrai ou à la télé. En noir et blanc alors.
Et moi, je me suis souvenu de mes parents qui bricolaient ensemble des fois. Et je les observais de loin alors ou derrière la porte. Entre eux deux c'était un peu la corrida justement ; et aussi peut-être leur manière d'être en lien au fond. Et ma mère c'était plutôt le catch qu'elle aimait regarder à la télé. C'était en noir et blanc aussi.
Et c'est peut-être pour ça que toi et moi, enfin moi avec toi, quand on a commencé à créer des ateliers ensemble, c'était aussi comme un duel, je trouve. Surtout avec "Mars & Vénus sur le divan", notre toute première journée d'études pour une tribu de coachs à Lille. C'était sur "le féminin-masculin en coaching" et toi tu proposais de remonter aux sources avec cette tribu-là : "aller à cet endroit de l'enfance qui est asexué, indemne de toute culture, mais où le sexe est si présent aussi ; comme un mystère à résoudre !", tu disais.
Moi, avec mon histoire, c'était compliqué encore tout ça, alors je te disais : "Non, c'est trop !" Et toi tu ajoutais : "On pourrait aussi évoquer avec eux la scène primitive ? C'est super important en coaching ce fantasme-là."
Bon, ma création du jour, là, avec des planches de bois, c'était pas du tout pour une corrida avec toi, c'était pour cacher un peu les poubelles entre la rue et le jardin.
Hélas il est loin d'ici Mr.Bricolage et il faisait beaucoup trop chaud ce jour-là pour aller acheter un niveau à bulle.
– Alors je te prends là, je t'ai dit, – non pas toi – la petite bouteille d'huile d'olive et que tu as achetée l'autre jour en vacances à la mer. Avec de l'eau dedans, une bulle d'air et à l'horizontal, ça devrait faire l'affaire, non ?
– …
Tu n'as pas répondu.
– Ce sera provisoire, j'ai ajouté quand j'ai vu dans ton regard que tu la trouvais pas glop glop mon idée.
Alors j'ai bien pris soin de vider l'huile d'olive dans un pot lyonnais et j'ai essayé de bidouiller un niveau à bulle éphémère. En faisant ça, j'ai soudain pensé à une pub du moment dans les rues de la ville. C'est pour Cuisinella. Il y a une femme sur le plan de travail de sa cuisine ; elle porte un chapeau blanc et un bikini vichy rouge. Elle est allongée sur le ventre, comme à la plage ; à l'horizontal justement ! Et son homme est en maillot aussi et il aime lui verser très généreusement le contenu d'une bouteille d'huile d'olive sur la peau du dos. Et un peu plus bas aussi, sur sa croupe. Et ils se marrent bien tous les deux. C'est la province ici, alors le message est plutôt direct.
Et si j'ai pensé à cette pub-là c'est peut-être parce que faire l'amour c'est comme bricoler ensemble. Et l'inverse aussi, tu dis.
Bon, ta petite bouteille d'huile, là, elle était finalement trop opaque. Mais il y avait peut-être une appli mobile pour faire ça, je me suis dit.
– Dis, tu sais s'il y a une appli mobile pour ça ?, je t'ai demandé.
Mais, là, tu étais avec ton ipad.
"Affiche les angles, étalonnage, pas de pub, notification sonore… " Et hop, en deux clics, j'ai trouvé, j'ai téléchargé un niveau à bulle sur mon mobile. Parce que depuis que je l'ai bidouillé aussi il n'a plus du tout la mémoire qui sature mon mobile.
Et tous les deux on a aimé reparler de corrida et de bricolage. Et le lendemain tu es venue avec moi chez Bricoman pour un nouveau projet de création : une varangue au bord du jardin.
– Une varangue c'est un peu comme une véranda dans les maisons créoles, je t'ai dit. Et avec plein d'orchidées dedans, j'ai ajouté.
– Ah ! moi, ça me fait penser à un lit à baldaquin, tu as dit quand tu as imaginé ce que je voulais faire, là.
***
Photo : le toit de la nouvelle création. En cours de construction, là.