"Ils ont posé une grosse plaque d'acier sur le distributeur de billets alors je ne pourrai pas encore vous régler aujourd'hui."
La semaine dernière, elle avait préféré arriver en retard pour retirer de l'argent parce que la fois d'avant c'était le contraire, elle était pile poil à l'heure mais sans l'argent parce que c'était beaucoup trop juste. Alors à la fin de cette séance-là elle m'avait demandé : "Je peux aller retirer du liquide et remonter si vous voulez ?" (Tiens, j'avais jamais pensé à ça.)
Sa psy d'avant était conventionnée, alors j'imagine que sortir de l'argent c'était pas une question.
Et elle ne sait pas, elle ne voit pas ce qu'elle cherche peut-être avec cette histoire d'argent, comme un acte manqué chaque semaine. Et d'ailleurs c'est peut-être pas un problème d'argent parce qu'avec l'inconscient on ne sait jamais, c'est pas forcément littéral, ça brouille les pistes l'inconscient. Elle ne connaissait pas cette histoire d'acte manqué, d'un désir inconscient qui réussit mine de rien. Moi je la laisse faire, même si elle cherche peut-être à ce que je pose des limites, là (c'est peut-être ça son mobile, que je la rappelle à l'ordre).
Mais c'est vrai que si elle arrive par Pigalle, ils ont fermé la banque et condamné le distributeur sur son chemin. Et moi aussi ça m'a surpris il y a quelques jours la grosse plaque soudée sur ce DAB, rue Fontaine. Alors "pour retirer du liquide" comme elle dit, il faut maintenant descendre rue Notre-Dame-de-Lorette, vers l'église. Des fois elle vient de l'Opéra, elle m'a dit, et alors il y a plein de distributeurs vers Trinité. Je sais pas trop pourquoi je pense aux églises sur son chemin, de Pigalle à l'Opéra. Je ne lui dis pas tout ce que je pense, là, mais c'est juste après ça qu'elle me lâche soudain que son père aurait aimé qu'elle devienne nonne. Et elle sourit quand elle dit ça.
Moi, ça me choque un peu cette histoire parce que jamais je n'aurais imaginé qu'un père puisse vouloir ça pour sa fille (je croyais que c'était réservé aux familles nobles et seulement aux garçons : l'aîné avait le château, l'autre allait à l'armée et le troisième entrait dans les ordres. Je connais bien ce genre de malédiction parce que mon père avait subi ça aussi et puis, un jour, ça a mal tourné).
Je lui demande si elle a du sang bleu dans les veines, elle dit non.
Alors peut-être que pour son père c'aurait été une manière de la garder à lui (sa fille n'aurait été à aucun autre homme, je veux dire). Et c'est vrai que comme ça elle n'aurait pas de problèmes avec l'argent non plus.
Là encore, je ne lui dis pas tout ce que je pense, je la laisse aller sur le fil de ses associations. (Et de toute façon, elle n'est pas nonne aujourd'hui.)
Et là, elle raconte comment elle s'ennuie dans son métier et ça la rend triste de s'ennuyer comme ça, et pourtant elle travaille avec la DG sur des dossiers RH et des trucs stratégiques. Et là elle pleure de tout ça soudain. Alors elle aimerait bien changer, devenir chanteuse lyrique. Parce que chanter c'est sa passion depuis longtemps, elle prend des cours pour ça chaque semaine aussi, mais elle se demande si elle pourrait vivre de ça ?
***
En photo, là : un bout du plafond de l'Opéra, parce qu'il paraît que "la voix de la mère est le premier opéra pour le bébé…"