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SEP 15

Le guerrier devant la porte cochère

Depuis cet été, pour venir à l'Atelier, le code d'entrée sur la rue est activé en journée. Alors moi, d'habitude, je préviens les clients avec un texto ; mais ce jour-là, ce coach-là je l'ai pas prévenu. (Je sais pas trop pourquoi j'ai fait ça ?).

– Mais alors comment t'as fait pour entrer ?, je lui demande, quand il frappe à la porte du bord de ciel. (Le "bord de ciel" c'était ma formule d'avant pour faire genre romantique, mais maintenant j'ai moins besoin de ça, je crois).

– Oh, pas de souci !, il dit. J'ai vu "SONNEZ  et puis POUSSEZ", mais il y avait plus de sonnette, il continue.

– Oui, il y a un vigik à la place ! Mais alors comment t'as fait ? je lui demande.

– J'étais pile poil à l'heure et je voulais pas être en retard. Alors j'ai activé le "mode Guerrier" : j'ai poussé, je savais que la porte pouvait céder et j'ai fait péter la clenche. Et je suis entré. Tout simplement.

Tout simplement !?! Moi, pendant toute la séance de supervision, c'est resté comme une énigme tout ça. (J'ai imaginé un truc genre "Voyage du héros" ou "Guerrier pacifique" ; je crois que c'est un truc initiatique ou de PNL que les coachs pratiquent des fois, mais je suis pas sûr que ça marche là). Et c'était d'autant plus bizarre que son collègue coach, qui était aussi resté un instant bloqué devant la porte cochère, lui, il avait pris soin de m'appeler. Mais ça ne répondait pas, alors il a trouvé le code tout seul (parce que c'est le même code que le bord de ciel !).

Pour Eva, ça semblait pas vraiment un problème cette énigme-là. Mais pendant toute la séance elle s'est quand même tenue à distance du coach. Parce que lui a continué sur ce mode-là, le "mode guerrier", à propos d'un client du moment et d'une situation avec plein d'obstacles qui le mobilisait beaucoup. Vu de nous, ça semblait pas vraiment la guerre, là, pourtant.

Bon, quand Eva est descendue après la séance, elle a vu la gardienne et les effets du coach guerrier sur la porte cochère : elle était au trente-sixième dessous (la gardienne, pas Eva), et pour elle aussi c'était une énigme : « Mais qui a pu faire ça ? Et comment ? » Et son mari essayait de la calmer. Il y avait aussi un serrurier ou bien le gars de la maintenance des Vigik qui était là, appelé d'urgence sans doute, et qui disait à la gardienne : "Ça va aller maintenant, c'est réparé, là".

*

Le lendemain, j'ai eu le besoin irrépressible d'écrire ces lignes, avec un peu d'humour, comme un cleaning.
– Mais, on ne se cleane jamais vraiment, tu sais ! Il faut plutôt rester clinique, m'a dit Eva. Et chercher à se rééquilibrer soi-même face à l'inquiétante étrangeté. Comme lorsqu'on était enfant face à de bien étranges parents parfois. 

Et c'est pour ça alors qu'elle restait plutôt à distance pendant la séance. Alors que, moi, ces situations-là, avec mon histoire, ça me mobilise encore beaucoup. Parce que c'est comme une énigme à résoudre.

– Et c'est à suivre de près, a ajouté Eva. Parce que si cela se répète, il faut rediriger vers un soutien médical... Être coach, je l'ai constaté, c'est pour certains un évitement de ce qui ronge profondément et que l'on préfère voir chez son client, et croire qu'on y peut quelque chose : "Lors des exaltations, on a l'impression que l'on va pouvoir tout faire. Avec ce sentiment de toute puissance, la machine s'emballe, il y a un sentiment de grande énergie, les idées s'accélèrent, on n'est pas fatigué même si on ne dort pas mais après, cela peut déboucher sur des idées délirantes ou sur des actes pas mesurés."

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