Quand elle est venue ici la première fois, elle disait que dans son école de coaching, il fallait qu'elle trouve quatre clients à coacher ; enfin, pas dans son école, mais dehors. Elle devait aussi trouver un superviseur et c'est pour ça qu'elle venait ici. (Je crois qu'elle devait en voir d'autres mais ça m'était égal à présent ces histoires de casting.)
– Combien vous allez les faire payer vos clients ?, je lui avais demandé tout à trac.
Ça m'avait échappé ça. Je crois que c'est parce qu'elle n'était pas habillée comme les coachs qui d'habitude vont à l'école des coachs : de satin ou de cuir, de couleurs ou de soie. Elle, elle était plutôt nature, je trouve.
– Heu !? Ils ne nous demandent pas ça à l'école, ils parlent pas de ça, elle avait dit.
J'avais trouvé ça bizarre pour une école de coachs (ce qui est bizarre aussi c'est que quand je veux écrire l'école des coachs, mon smartphone il veut écrire l'école des sorciers). Parce que même si c'était pas une école privée son école, mais une université, ils font quand même payer tout le monde.
Et elle aussi, c'était la première chose qu'elle m'avait demandée : "Combien ça coûte d'être accompagnée ?" Alors on a parlé d'argent et c'est comme ça qu'on a commencé. Naturellement.
(Et parfois, les coachs habillées de cuir ou en soie, quand elles ont fini l'école des sorciers [Grrr !] l'école des coachs, elles me disent qu'elles aimeraient bien être supervisées ; mais elles ajoutent aussitôt : "Quand j'aurai des clients". Je ne sais pas trop ce qu'elles deviennent après, parce que je les revois jamais ces coachs-là.)
Elle, en même temps que ses cours à la fac, elle a accompagné un, deux et puis trois clients, pas en mode solidaire ni low cost, mais avec les questions d'argent et d'engagement alors.
Bien sûr, ce n'était pas simple pour elle au début mais ça lui a permis de repérer les touristes et de faire le tri entre les joueurs, les bons et les mauvais et ceux qui voulaient vraiment être accompagnés. Et, en même temps, on a un peu démêlé ses histoires avec l'argent, ses histoires à elle.
Et j'aimais bien, j'aimais beaucoup la voir entreprendre ainsi. J'ai évoqué ça avec ma psy parce que, pour l'instant, je mélange la supervision et le divan parce que c'est encore mélangé mes histoires d'hier et d'aujourd'hui, l'intime et l'accompagnement. Et j'ai découvert que cette coach je l'entraînais, mine de rien, sans vraiment le dire, dans un "programme de réussite". Comme on m'a fait à moi. Et ça pouvait être ambivalent mon transfert parce que c'est aussi ce qu'on lui a fait à elle : elle aurait dû être championne de tennis. Après avoir parlé de ça sur le divan, ça s'est calmé cette histoire-là, et ça a laissé de la place à d'autres facettes du transfert.
Là, aujourd'hui, elle me parle d'une cliente qui voudrait continuer avec elle. Mais son école de coaching, elle l'a choisie spécialisée dans les thérapies cognitivo-comportementales et les thérapies paradoxales et brèves. Et c'est pas encore fini, c'est pas du tout bref son école, parce qu'il faut encore qu'elle écrive son mémoire avec le cas d'un client. (En thérapie brève, c'est pas vraiment un travail de mémoire, la mémoire de l'enfance du coach et puis, souvent, tous les entrelacements avec l'histoire du client). Et après il faut qu'elle passe devant un jury.
Un jour je m'étais demandé comment elle faisait pour faire le grand écart entre ses cours à la fac et puis la supervsion ici, les TTC et l'accompagnement au naturel. Parce que ce grand écart ça m'activait parfois dans mon côté fréroce (la frérocité c'est une autre facette de mon programme de réussite : disqualifier des confrères pour tenter de garder l'exclusive ; je sais bien que c'est une histoire ancienne mais ça se réactive parfois.) J'ai fini par lui demander, c'était plus simple. Et alors elle m'a raconté qu'après son école de tennis, elle a fait une école de cirque pour être trapéziste.
Et là, elle se demande si elle doit accepter de continuer avec cette cliente-là ? Parce que ce serait plus du tout du coaching bref, non ?
C'est bizarre, elle se pose pas la question du bref ici, je me dis.
– C'est bizarre, vous vous posez pas la question du bref ici ? je lui dis.
C'est genre TCC ma question là, mais après on a démêlé un peu ses histoires à elle avec la dépendance, et tout à la fois avec sa peur et son besoin de ça.
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Photo : Fernand LÉGER - Les Trapézistes