– Ah ! Vous allez prendre un café ? il me dit.
Là, je suis devant la machine à café parce que j'ai envie d'un chocolat. Et parce que juste avant j'ai proposé : "Ça vous dit de faire une pause ?" C'était pas vraiment une question, c'était vendredi soir à Paris 2 avec la nouvelle promo du master Coaching.
Moi, je voulais faire une pause parce que sinon, au bout d'une heure, je m'emballe et je perds les pédales mine de rien. Parce qu'un grand groupe ça me replonge dans ma famille nombreuse, avec la folie douce de chacun et la mienne. Parce qu'un groupe c'est régressif, je trouve, et que retourner sur les bancs de l'école, ça nous replonge tous en enfance.
Et cette année, enfin ce soir, c'est beaucoup plus serein parce qu'ils ne sont pas trente, ils sont une vingtaine.
Et celui qui, là maintenant, me demande si j'ai envie d'un café, c'est l'un des étudiants. Il est devant la machine d'à-côté, celle qui distribue des boissons froides.
– Non, j'ai envie de chocolat, je lui dis.
Je me rappelle que c'est lui que j'ai rencontré dans l'ascenseur tout à l'heure juste avant la séance. C'est bizarre, les années d'avant je prenais jamais l'ascenseur, je me suis dit. (L'ascenseur, pour moi, c'est plutôt pour aller sur le divan ; enfin, je peux pas trop faire autrement parce que ma psy est au 8ème étage et qu'elle attend toujours que l'ascenseur arrive pour m'ouvrir sa porte. Je pourrais arriver par l'escalier mais si je déboulais directement, ça la surprendrait, je pense. Même si elle m'invite à l'imprévu toujours.)
Bon, ce soir-là à la fac, je savais pas trop où était la salle de cours, c'était pas affiché comme les années d'avant. Il n'y avait personne dans le hall, sauf cet étudiant-là. Il a l'air d'un coach, je me suis dit.
Là, je sors le gobelet de la machine.
– Ah ! Le chocolat c'est une boisson pour les Epicuriens, il me dit.
– Ah ! je réponds, sans trop savoir pourquoi il me dit ça.
– Et ma femme vient du pays des meilleurs chocolats : la Colombie. Ça a des effets aphrodisiaques aussi, il ajoute.
Je sais pas s'il me parle de sa femme, du chocolat, ou de la Colombie. Et c'est bizarre, ce pays ça m'évoque plutôt le café mais, moi, j'ai besoin d'une pause maintenant, alors je m'extirpe. Je bois mon chocolat chaud – il doit pas venir de Colombie ce chocolat-là, je me dis – et je repense à ce qui s'est passé juste avant.
C'était la première fois que je n'avais pas de fil d'Ariane. (D'habitude, je prépare un peu ce fil-là sur le divan, juste avant la séance. Ça me challenge et ça m'apaise un peu d'évoquer ce sujet mais, cette fois-ci, ma psy ne m'a pas laissé faire parce qu'elle est ni coach ni thérapeute. "Qu'est-ce qui vous vient, si vous n'avez pas de sujet, là ?", elle m'a demandé. Je me suis d'abord un peu débattu et puis je lui ai parlé d'un fantasme auquel je pensais depuis un moment mais que, jamais, je n'aurais imaginé lui raconter.
"C'est souvent une angoisse des enfants ce fantasme-là mais c'est refoulé", elle m'a dit. Ça n'avait aucun rapport avec le master Coaching mais tant pis, je me suis dit. Et j'ai continué sur ce fil-là du super refoulé et, même temps du transgressif).
Alors, là, ce soir à la fac, pour la première séance, j'ai d'abord pris le temps de dire pourquoi j'étais là : pour revenir ensemble aux sources de l'accompagnement et se familiariser avec l'inconscient et ses manifestations : nos pulsions, nos défenses, nos actes manqués, nos répétitions...
Parce que tout ça est toujours présent aussi en coaching. Et, pour moi, c'est ça la supervision, c'est revenir aux sources de notre histoire personnelle pour mettre à jour et démêler ce qui se tricote avec nos clients, à notre insu souvent.
Mais j'ai pas trop fait mon malin et je n'ai pas trop parlé de psychanalyse comme je faisais d'habitude. Parce que d'habitude tout le monde se braque avec ça.
Et puis, après quelques minutes, j'ai demandé à chacun, pourquoi il était là. Enfin à ceux qui avaient envie. "Avoir des savoirs et des repères"… "Trouver une boîte à outils"... "Grandir et se renforcer alors."
Et ça tombait bien parce que moi, ce soir-là, pour cette première séance, j'avais envie de leur faire expérimenter le seul "outil" avec lequel on cheminerait ensemble au fil des huit séances : les associations libres.
Bon, là c'était le moment d'y retourner. J'ai terminé mon chocolat et j'ai pris l'escalier. Ils étaient déjà là, en cercle, parce qu'on avait mis les tables sur les côtés au début de la séance.
– Mettez vous deux par deux, je leur ai dit.
Un peu comme à l'école quand on se mettait en rang, je me suis dit (et je crois qu'on se donnait la main alors). Mais là, ils étaient déjà deux par deux : il suffisait que chacun arrête de me regarder et puis se tourne l'un vers l'autre. Face à face ou un peu de travers.
– Et puis alors, avec ou sans salamalecs, l'un de vous décide de se laisser aller sur le fil des associations libres, avec les pensées, les images, les souvenirs, les émotions qui lui viennent. Sans censure. Pendant une dizaine de minutes. Et puis l'autre accompagne en silence.
– Non, non, vous ne changez pas de rôle, ni pendant les 10 minutes ni après, parce que c'est pas du tout un jeu de rôles.
– Non, il n'y a pas d'objectifs à l'exercice. C'est pas un exercice.
– Euh ! Non, je ne vous demanderai pas de restituer ce qui vous est venu au fil de vos associations. Comme ils me posaient plein de questions, je me suis encore extirpé pour les laisser faire.
Certains ont mis leur cahier bien à plat sur leurs genoux et puis d'autres leur tablette. Et puis alors ils ont commencé à voyager en associations libres.
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