J'ai aimé rencontrer Lionel Ancelet sur les bancs de l'école du coaching. C'était le début des années 2000. Et puis chacun a tracé sa route sur les chemins de l'accompagnement, Lionel du côté de ceux qui voulaient voir du pays ou changer de vie, enfin s'expatrier ou faire un bilan de compétences.
Et il y a eu "Coacher avec ses démons", une année folle avec Eva, et c'est là que Lionel a aimé nous rejoindre ; l'instant d'un atelier.
Et maintenant on chemine ensemble et en supervision, en groupe et à la campagne des fois. Et puis un jour, je ne sais plus trop comment, j'ai découvert que Lionel aimait beaucoup écrire aussi : des nouvelles et des micro-fictions, dans l'intimité et loin du coaching, alors j'ai eu envie de l'interviewer. Rencontre singulière donc. Et là, j'ai pas toujours tenu le fil de l'interview.
André : Parfum d'été, Digital World, Retrouvailles… quand j'ai découvert tes nouvelles sur ton site, – Des nouvelles de Lionel, "avec un zeste de science-fiction, une pincée de romantisme, un doigt d'érotisme" comme tu dis –, je suis vraiment tombé accro. Et depuis, je les savoure une à une. Dis, si tu donnais un peu de tes nouvelles, si tu faisais du buzz sur ces écrits-là, tu crois que ça casserait ton image de coach ?
Lionel : En fait, j'ai depuis longtemps envie de "faire du buzz" autour de ça, mais je procrastine, j'attends de trouver, ou plutôt de prendre le temps de donner forme à un recueil de nouvelles. Pour ce qui est de mon image de coach, j'assume cette facette-là de moi. Par exemple, je n'ai qu'un seul compte Twitter, qu'un seul compte Facebook, dans lesquels se mélangent les aspects professionnels et personnels de ma vie. Ce serait trop compliqué de gérer deux "persona" différentes en ligne. Et peut-être que deux, ça ne suffirait même pas.
André : Procrastiner c'est comme un acte manqué aussi, c'est réussir un désir inconscient mine de rien ; réussir à ce qu'on prenne de tes nouvelles sans buzzer peut-être. Et tes nouvelles ont plus d'un "doigt d'érotisme", je trouve, et c'est ça qui rend accro ; alors côté coach, enfin côté clients, procrastiner c'est aussi protéger cette intimité-là ?
Lionel : "Plus d'un doigt ?" Je n'ose filer cette métaphore… du moins pas ici : ça casserait vraiment mon image de coach ! Ou alors, ça donnerait une autre vision de moi, comme ces images lenticulaires qui montrent deux aspects différents selon l'angle sous lequel on les regarde. Les deux sont intimement liés, mais on ne peut en voir qu'un seul à la fois. Pour répondre à ta question, cette intimité-là est en fait très facile à percer si l'on s'en donne la peine : il suffit de taper mon nom sur Google, et le lien vers ces textes apparaît dès la première page de résultats. Si certains de mes clients (ou amis) veulent en savoir plus sur moi, ils trouvent forcément ce site. Et pourtant, je ne me souviens pas qu'un seul client m'ait jamais parlé de ces textes. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne les ont pas trouvés, et lus. Mais il est rare que je mentionne l'existence de ces textes à des clients.
André : "Images lenticulaires" : je ne connaissais pas. Une histoire de regards encore. Et ces questions sur le désir d'être lu, d'être vu dans l'intime, mais aussi sur la peur de ça, sont celles que je ne sais pas résoudre pour moi ; alors je passe un instant de l'autre côté. Oui, mon blog est de moins en moins pro, de plus en plus vagabond, et alors j'ai envie d'en créer un autre, pas secret mais discret, comme toi, avec un pseudo peut-être pour aller plus loin, mais je procrastine aussi. Si je viens chez toi, côté coach, comment tu peux m'aider ?
Lionel : J'ai envie de te poser une question : si tu utilisais un pseudo, que voudrait dire "aller plus loin" ? Ton blog est déjà personnel et intime, de plus en plus, et ton image de coach parmi les coaches a déjà évolué. Que pourrais-tu dire de plus que tu ne dis pas encore ? Utiliser un pseudo, serait-ce aller plus loin, ou faire un pas de côté, sur le bord non éclairé de la route ? Pour se cacher dans l'obscurité, ou l'éclairer d'une lumière inédite ? Serait-ce un pseudo "ad vitam", ou bien un pseudo temporaire ? Je pense à Pauline Réage, pseudo de Dominique Aury, qui a gardé son secret pendant 40 ans : elle était l'auteur d'Histoire d'O. Et je me demande : ceux qui exercent un des métiers "impossibles", à savoir gouverner, éduquer, ou soigner, que peuvent-ils partager publiquement de leur univers intime, qu'il soit réel ou fictionnel ?
André : Sur la route ou les bas-côté ? Exposé ou dans le noir ?! Avec tes questions je me dis que le pseudo serait une nouvelle défense. Et que là, je fais genre le bernard-l'hermite qui doit changer de coquille, inéluctablement (parce qu'avec le divan, mes pulsions pulsent et mes défenses tombent) mais que j'ai un "épisode de repentir" (ces bêtes-là ont ça parfois, elles cherchent à rester dans leur ancienne coquille). Et jusqu'à maintenant ce qui m'inspirait c'était d'écrire sur le seuil : entre le désir et la peur d'être vu ; comme si j'étais encore enfant. Ou comme si j'en restais aux préliminaires aussi. Toi, dans tes nouvelles, tu ne t'arrêtes jamais en si bon chemin, comme si tes défenses étaient déjà tombées ? Et côté "métiers impossibles", chez les psys, il y a Sophie Cadalen qui publie des livres ou des nouvelles érotiques dans la presse grand public, sans pseudo et qui a un blog comme ça. Et toi, ça te vient d'où ce goût-là et sans défenses ?
Lionel : J'aime bien l'image du bernard-l'hermite, si ce n'est qu'il doit courir d'une coquille à l'autre, le pauvre. Une coquille d'emprunt, qui plus est.
Quand je suis tiraillé entre deux options, j'aime bien essayer de donner la parole aux parties de moi qui ne sont pas d'accord, à la façon du Dialogue Intérieur. Si j'essaie de les personnifier, chez moi ce serait d'une part un vieux sage, soucieux de son image de philosophe plutôt sérieux, et d'autre part une jeune femme espiègle qui a envie de croquer la vie à belles dents sans se soucier du qu'en dira-t-on. C'est sans doute influencé par Carl Jung que je les affuble de ces polarités masculine et féminine opposées. Leur donner la parole tour à tour m'aide à démêler l'écheveau de mes motivations contradictoires. Et je sens que l'espièglerie gagne de plus en plus de terrain sur la pesanteur.
Dans ton panthéon intérieur, qui tire à hue et à dia ? J'imagine, et cela n'engage que moi, des archétypes inversés, peut-être un garçon un peu timide qui rêve d'être pris au sérieux, face à une femme mûre moins rigide qu'il n'y paraît. Si tu leur donnais la parole, qu'auraient-ils envie de dire ?
André : A propos de Dialogue Intérieur, c'est vrai qu'il y a souvent un gros bordel dans ma tête aussi ; et que ça rumine et que ça boxe un peu comme sur un ring plutôt qu'au Panthéon. Et même si les archétypes c'est pas trop mon truc, parce que c'est générique je trouve, je vais essayer là, avec toi. L'homme et la femme, le jeune et le vieux, dont tu parles pour toi, en toi, moi ça me fait penser au couple parental, enfin à celui de mes parents que je trimballe avec moi depuis toujours et encore. Et avec ça, tous les dilemmes de mon enfance, de mon histoire ; par exemple "Entre Maman et Papa qui préfères-tu ?!" me demandait ma mère. C'était une question piège je trouve et ça me rendait fou. Et c'est peut-être toujours actif quand j'écris aujourd'hui, mine de rien ; genre "pour qui je préfère écrire ?" (parce que peut-être qu'on écrit toujours à quelqu'un au fond). Et là, en t'écrivant, je découvre que prendre un pseudo c'est peut-être vouloir m'échapper de ce genre de piège. "Je vous aime tous les deux !" je répondais à ma mère. Ça calmait le jeu, mais c'était pas vrai au fond. Et aujourd'hui, c'est tout ça que j'aimerais écrire, l'histoire de mon enfance et d'après, avec ses pièges et ses énigmes impossibles ; comme Delphine de Vigan qui, dans "Rien ne s'oppose à la nuit", ose écrire sur sa famille. Mais c'est aussi douloureux et compliqué tout ça pour moi parce que c'est chargé de plein d'archétypes justement, de plein de dilemmes alors, avec des tabous et des transgressions : le noble et la paysanne, le maître et l'esclave, le prêtre et la paroissienne…
Bon, je m'arrête là pour te laisser reprendre le fil, mais c'est agréable de répondre à tes questions comme ça. Et plutôt qu'un pseudo, peut-être que je devrais prendre un "nègre", enfin un ghost-writter ou quelqu'un qui m'aide à raconter mon histoire, enfin toutes mes histoires en héritage et dans lesquelles je me sens souvent emprisonné. (Quoique ! Un nègre ça répèterait aussi une partie de mon histoire.)
Lionel : Demander à quelqu'un d'autre d'écrire pour moi, ça ne me plairait pas du tout, même si préfèrerais laisser toute liberté à un réalisateur qui désirerait adapter au cinéma une de mes histoires, et me laisser surprendre par le résultat. J'aime bien évoquer des images quand j'écris, c'est peut-être pour ça que j'aime utiliser des métaphores (et parfois des photos) quand j'accompagne.
Mais pour revenir à mon Panthéon, ou à ton ring, peut-être n'est-on pas juste deux quand on accompagne, mais que toute une galerie de fantômes (certains encore bien vivants) nous entoure, et nous encourage ou nous désapprouve, en silence. Une manière pour nous de nous donner en spectacle, à notre propre insu. On n'est pas loin au fond de ta première question, de publier sans en avoir l'avoir, de se livrer mine de rien, de dire "mais moi c'est aussi ça", à qui voudra bien se donner la peine de l'entendre, et de l'écouter. Une vulnérabilité calculée (quel oxymore !) en somme, un moyen de se faire désirer.
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Pour améliorer votre expérience, je vous laisse vous donner la peine de taper le nom de Lionel sur Google.