« Si tu fais ton examen de conscience, tu verras bien que j'ai raison ! » On me répétait ça souvent quand j'étais petit.
Et c'est peut-être pour ça qu'aujourd'hui, même si c'est super à la mode en ce moment, je me méfie beaucoup de la "pleine conscience" et de la méditation qui va avec, genre à heures fixes ou sur commande. Pourtant, j'ai fait beaucoup d'années de Yoga, pas mal de stages d'hypnose (pas de l'hypnose de foire mais d'Erickson) et aussi de l'auto-hypnose mais ça marchait pas trop sur moi. Alors maintenant je préfère tirer sur un fil ou sur un autre, un fil qui surgit de mon inconscient, comme ça, quand je ne l'attends pas. Oui, tirer sur tout ce qui dépasse mais qui se dérobe et puis me laisser faire, sans préméditer.
Et donc, les demandes d'examen de conscience c'était à tort et à travers, parce que moi j'aimais bien questionner tout ce qui allait de travers. Par exemple, pourquoi ma sœur c'était "l'enfant du diable" ? Hein ! pourquoi ça ? C'est ma mère qui disait ça parfois.
Je n'ai jamais parlé de ma sœur ici ou ailleurs. C'est l'aînée de nous cinq et ma psy m'a dit un jour que c'est comme si je l'avais effacée de ma mémoire. Mais c'est pas vrai, c'est parce qu'elle est partie très tôt en pension chez les sœurs, alors je ne l'ai pas beaucoup vue quand j'étais enfant. Et c'est vraiment bizarre qu'une "enfant du diable" soit acceptée chez des sœurs. Et en plus, au fil des années de son adolescence, elle a perdu la vue, alors je l'aie encore moins vue. Je questionnais aussi pourquoi elle devenait aveugle mais c'est toujours resté une énigme. Et aujourd'hui encore.
Avec les examens de conscience, c'était aussi l'époque où Dieu nous regardait et pouvait tout voir. Enfin, c'est le curé qui disait ça au catéchisme et à la messe mais Dieu il était plutôt au-dedans et au cœur des églises. Par contre, le diable, il était dehors et dans les détails, sur les gargouilles et les portails des églises. Et je me disais que, pour avoir des enfants, il devait bien avoir une amoureuse le diable ? Et si ma sœur c'était sa fille alors peut-être que le diable c'était mon père, non ?
Pourtant, même si je l'idéalisais beaucoup, je sentais bien que mon père était plutôt du côté de Dieu. Oui, il parlait le latin par exemple. Et il prenait soin de ramasser les miettes de pain sur la table, tout doucement avec sa main, comme une caresse, et comme le faisait le prêtre avec les morceaux d'hostie à la messe. Et il buvait le vin comme le vin de messe justement ; religieusement. Et parfois il ajoutait : "Bonum vinum laetificat cor hominis".
Alors, avec tout ça, c'était confus pour moi et je ne savais plus trop comment faire mon examen de conscience. Donc je ruminais, je boudais, pendant longtemps, pendant plusieurs jours. C'était comme une attaque silencieuse mais ça m'empêchait de participer aux échanges à table. Et c'est comme si je me punissais moi-même.
Au bout d'un moment ma mère me lançait : "Colimaçon est un boudeur / Qui n'est jamais de bonne humeur / Avec lui si quelqu'un veut rire, heu ! dans sa coque il se retire."
C'est une récitation enfantine, je crois, ou une comptine peut-être parce qu'elle chantait ça comme une chanson. Et j'ai encore cet air dans la tête, là. Et même si c'était pour me sortir de ma bouderie je trouvais ça un peu cruel.
Et j'ai cherché à en savoir plus sur le diable et sa femme mais, à l'époque, il n'y avait pas Google alors je regardais dans la Bible. Et ce que je préférais c'était le Cantique des Cantiques. Aucune trace du Diable, ni dans le détail ni entre les lignes, mais c'était très sensuel, je trouvais.
Alors je continuais de poser des questions, et je me sentais encouragé dans ça parce qu'il y avait un cousin jésuite – on l'appelait Oncle Paul – qui venait parfois le dimanche pour déjeuner avec nous en famille. C'est lui qui avait aidé mes parents quand ils ont dû quitter leur île et s'installer en métropole. Et il nous avait donné un surnom à chacun : moi c'était "le théologien". Ça en jette, je trouve ! Mon petit frère c'était Donald Duck mais pour ma grande sœur et mes autres frères, je n'arrive pas à me souvenir. Et donc cette étiquette de théologien m'encourageait à questionner, à chercher le sens de ce qui allait de travers.
Et puis un jour mon père m'a offert un livre : "Dis pourquoi ?" Et puis un autre aussi : "Dis, comment ça marche ?" Comme il travaillait dans une librairie scolaire j'imagine que c'était facile pour lui. Et puis, comme ça, je pouvais trouver tout seul les réponses à mes questions. Mais dans ces livres-là il n'y avait pas les questions que je posais et donc pas de traces du Diable, ni de son amoureuse ou de ses enfants.
Alors pour avancer dans mon enquête, j'aimais bien espionner mon père et ma mère, surtout le soir dans la cuisine quand ils regardaient la télé (oui, parce que la télé était dans la cuisine). Comme tout était plutôt caché ou secret, j'étais à l’affût du moindre indice et de leurs réactions.
J'avais repéré que c'était le catch que ma mère adorait. Oui, du catch à quatre et les matchs entre femmes. Mon père, je ne sais pas trop ce qu'il en pensait alors. C'était à l'heure du repas et donc ça rajoutait pas mal de bordel autour de la table. Et, même si c'était entre femmes, leurs tenues de panthère, tous ces corps à corps en sueur, ces galipettes et ces étreintes, je trouvais ça super sexe. Mais il y avait aussi plein de coups et de cris. (Je me dis que ces scènes-là ont dû pas mal imprégner mes fantasmes et ma manière d'imaginer le sexe. Mais je n'avais pas fait le lien et c'est ça que les psys nomment le "refoulé", je crois).
Et, des fois, je demandais à ma mère pourquoi il n'y avait pas le carré blanc pendant les matchs de catch. Oui, ce carré-là en bas de l’écran, c'était pour signaler aux parents les « émissions dangereuses ». Dangereux, ça voulait dire avec des scènes à caractère violent ou pornographique et donc interdites aux enfants.
Et là, ma mère n'avait pas trop de réponse mais surtout elle ne pouvait plus me faire le coup de l'examen de conscience. J'insistais un peu mais, exaspérée, elle me lançait : "Arrête de me répondre !".
Plutôt que de la théologie, c'était un peu comme du catch entre elle et moi alors. Et c'est comme si j'utilisais mon surnom de théologien pour la pousser à bout. Et peut-être que moi aussi j'étais un enfant du Diable alors ou que j'avais très envie de ça au fond. Mais peut-être que c'est ça qui risquait de rendre aveugle, comme ma sœur.
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