– Dis, ça te dirait d'écrire une note, genre l'œil du psy, pour "Bigoudis", un livre à paraître sur les coulisses des salons de coiffure ?
C'est Henri Kaufman, le boss éditorial de Kawa, qui m'a proposé ça cet été. Et moi, sans trop savoir pourquoi – enfin si, parce que j'aime beaucoup les coulisses et l'envers des choses –, j'ai aimé dire Oui.
Alors j'ai pris le temps de découvrir le manuscrit en écriture de Christine Rosana :
« À cette époque, la mode ne s'éparpillait pas encore en tendances, il n'y en avait qu'une et elle sacralisait les blondes platine. Pour faire les décolorations, on envoyait la nouvelle apprentie que j'étais quérir un très précieux élixir. Deux fois par semaine, je me rendais à la droguerie et j'avais pour mission d'acheter de l'eau oxygénée titrée à 110 volumes. Je laisse apprécier les connaisseurs. Pour les profanes, sachez que le maximum autorisé dans la profession était de 40 volumes. »
Ça c'est un extrait. Et j'ai adoré. Ça et la suite. Alors je me suis laissé écrire à mon tour sur ce qui se trame d'incroyable mine de rien – enfin de pulsionnel –, pour ces artisans de l'intime et aussi pour nous-même, à leur contact. Oui, pourquoi nous aimons tant nous faire papouiller, prendre la tête et nous faire couper comme ça, impunément, des parts de nous-même ?
Et finalement ça s'appelle "Confidences d'une coiffeuse" et ça vient de paraître. Chez Kawa donc.
La suite de l'extrait, là :
« Si par malheur, lors de la préparation du savant mélange quelques gouttes atterrissaient sur mes doigts, la brûlure qui palpitait sous la mousse blanche était fulgurante. Même en rinçant immédiatement la peau avait déjà rougi.
Sans aucun complexe, avec ce liquide que certain surnommait « l'eau bénite », nous exécutions les décolorations complètes de la chevelure ou seulement quelques mèches.
La plupart du temps, dès l'application du mélange, la réaction chimique ne se faisait pas attendre. Fumée au-dessus du crâne, picotements d'abord puis douleurs ensuite, du châtain le plus sombre, les cheveux passaient au platine le plus pur. Dans notre jargon nous disions que la dame était cuite. Le cuir chevelu l'était en tout cas, décapé au mieux, au pire boursouflé, cloqué, régulièrement perlé de sang. On peut dire sans ambages que nous jouions avec le feu ! »
Et puis mes lignes en avant-propos de l'ouvrage, ici.
MAIS QU'EST-CE QU'ON A DANS LA TÊTE ?
A l'origine du monde
Un peu, beaucoup ou pas du tout… bruns, blonds ou roux… soyeux ou crépus… ce sont d'abord nos cheveux qui sont aux premières loges quand nous arrivons dans le monde, après la traversée de la mère. Et si ça se passe bien avec elle, nos cheveux deviennent l'objet de ses premiers soins. Et cela bien plus encore que notre peau, que nos creux et nos plis, nos fesses et toutes les parties plus intimes de notre corps.
Oui, à portée de sa main, à la portée de l'autre, et toujours à la lisière entre soi et le monde – caressés à l'envi, humés à plein nez ou juste effleurés du bout des doigts –, nos cheveux sont l'objet de plein d'attentions. Et fille ou garçon, c'est du pareil au même ici.
Alors, au-delà du souci de plaire – à soi ou au monde, dans le miroir ou le regard de l'autre –, il y a d'emblée des histoires de liens dans nos cheveux, emmêlées ou dans nos racines. Et tout ça laisse des traces aussi dans notre mémoire sensible, comme une empreinte indélébile, même si en apparence c'est passé aux oubliettes.
Et c'est peut-être ce toucher-là, originel et intime, que derrière les apparences justement nous cherchons aussi à retrouver quand nous décidons d'aller chez "notre" coiffeur.
Un métier de l'intime
Les artisans de nos cheveux le sentent bien ce besoin-là lorsque, juste avant de couper nos boucles, effiler nos pointes ou colorer nos mèches, et puis nous laisser babiller avec eux, ils nous proposent massages, papouilles, onguents et tant d'autres soins tout doux.
Et même si, par coutume ou hiérarchie, ils confient cette charge à la jeune apprentie derrière le bac, eux aussi, les maîtres des ciseaux, des brosses et des bigoudis, ont peut-être cette mémoire des origines, des premiers soins. Ces soins maternels qu'ils ont eux-mêmes reçus, à foison ou pas du tout. Mais trop ou pas assez, c'est presque pareil au fond et pour la vie.
Parce que, comme les autres métiers de l'intime (psy, gynéco, infirmière…), ces artisans-là cherchent à régler ou dépasser quelque chose qui a plus ou moins accroché ou déraillé dans leur histoire d'avant, dans les tout premiers liens.
Mais nos histoires originelles sont toujours très originales, alors si vous voulez savoir pourquoi l'artisan de vos cheveux fait ce métier-là, prenez soin de le questionner un instant ou plus. Il vous parlera sans doute de vocation ou d'évidence parce que ces histoires-là se jouent plutôt à l'insu.
Un territoire à défendre
Plus tard, après notre arrivée sur terre, dans les bras de maman ou sur les genoux de Papa, ce sont aussi nos cheveux que les autres tout proches, frère ou sœur, veulent tirer ou arracher, en douce ou par poignée (et même couper parfois). Parce qu'ils étaient là bien avant nous. Et c'est un peu la même histoire avec nos premiers compagnons, sur le chemin de la vie, au jardin d'enfants, au square et puis dans la cour de l'école.
Certes c'est ici plus sauvage mais c'est aussi une forme de notre relation aux autres humains. Et de l'amour parfois, entre les draps. Et nos cheveux deviennent alors un territoire à cultiver et à défendre. Parce que, mine de rien, ils sont aussi un symbole de notre puissance (oui, chez les sioux ça va jusqu'au scalp quand même).
Et cette histoire-là se joue aussi avec notre mère. Un beau jour, celle qui jusqu'alors prenait soin de nos boucles veut soudain passer de ses doigts aux ciseaux, de la caresse à la coupe. Et c'est très angoissant ça parce que, dans notre tête d'enfant, dans nos fantasmes, c'est comme si on nous coupait une part de nous-même. Et là encore, fille ou garçon, cette angoisse de la perte et du manque, c'est pareil au fond. Mais, comme nous avons dépassé le stade du miroir, nous aimons lui résister. Avec plus ou moins de larmes et de succès.
Et à ce jeu-là, notre coiffeur lui n'est pas un amateur. C'est pour ça que nous le choisissons. Oui, il nous voit venir, il capte notre allure, nos envies, il nous dévisage et nous envisage, et sans trop de palabres il sait mettre en valeur et en volume cet attribut-là.
Parce qu'il est le pro d'une algèbre singulière : il coupe, il nous retire quelque chose, il égalise mais ça ne nous enlève rien. Au contraire, ça ajoute, ça volumise. Moins ça devient plus, entre ses mains. Même si après l'opération, c'est quand même un regret de voir toute cette part de nous sur le sol, toutes ces boucles coupées dans son salon, perdues et balayées avec les autres. Même si bien sûr nous savons que ça repoussera.
Il a un côté un peu sadique notre coiffeur, non ?
Mais qu'a-t-il donc dans son ADN le compagnon de nos cheveux pour aimer couper court et jouer ainsi avec notre peur de perdre au fond ? Certes il nous caresse dans le sens du poil, mais peut-être aurait-il aimé être dentiste ou chirurgien, pour aller à la racine des choses ou tailler dans le vif. Et puis vous avez remarqué tous ces salons de plus en plus blancs, immaculés, aseptisés, comme une salle d'opération ? Et on vous passe aussi la blouse et on vous allonge presque. Et il y en a qui ajoutent à leur panoplie de ciseaux, de tondeuses et de fioles, rasoirs et coupe-choux sur un plateau. Alors, entre ces doigts-là, pendant un instant, la vie des hommes, à fleur de gorge, semble vraiment sur le fil.
Ça vous paraît peut-être tiré par les cheveux mais chacun de nous a cette pulsion en lui ; c'est aussi un élan des origines, vital et créatif, que nous refoulons plus ou moins.
Alors la prochaine fois, pensez vraiment à demander à votre coiffeur pourquoi et comment il a choisi son métier.
Et pour aller ainsi de l'autre côté du miroir, dans les coulisses de ce métier, il y a "Confidences d'une coiffeuse". Christine Rosana y raconte plein d'histoires de l'intime.
André de Chateauvieux : Aller aux origines pour retrouver l'original !
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CONFIDENCES D'UNE COIFFEUSE - LES COULISSES DES SALONS DE COIFFURE - Christine ROSANA – Editions Kawa – Octobre 2016
Et aussi l'édito de Henri KAUFMAN sur son blog : ECLECTIHK-LOG