« Les inquisiteurs depuis la fin de la Renaissance affirment l'existence de preuves objectives de sorcellerie, des stigmates indiscutables qu'ils appellent les « marques insensibles ». C'est par là qu'on confondait les sorciers. On prenait soin de raser entièrement le corps des individus suspects ligotés nus sur une table, on demandait à un chirurgien dépêché exprès de « chercher ». Chercher, c'est-à-dire enfoncer de longues aiguilles qui faisaient hurler les malheureux, jusqu'à trouver, trouver un morceau de corps tout à fait insensible, tellement que de l'aiguille enfoncée il ne ressortait rien. Ni un cri de douleur ni une seule petite goutte de sang. »
C'est un extrait de "Possédées", un roman de Frédéric Legros. Et c'est plutôt insoutenable la lecture de ce livre-là, enfin surtout les dernières pages. Oui, à partir de ce moment-là c'est de la torture. Et pour le lecteur aussi.
Mais je ne l'ai pas choisi pour ça.
Non, je l'ai choisi parce que c'est l'histoire d'un prêtre – Urbain Grandier, le curé de la cité de Loudun –, beau, séduisant, sûr de lui et qui parfois se laisse aller à sa passion pour les belles femmes, jeunes veuves ou filles de notables. Et alors il déborde et il s'égare. Et, comme il faut bien un bouc-émissaire, il est accusé d'être le serviteur du Diable et de pervertir les religieuses du couvent des Ursulines qui, parfois la nuit, aiment se toucher et gémir de plaisir, se contorsionner et crier des insanités.
Alors c'est pour moi comme un complément d'enquête à mon histoire familiale qui, elle aussi, est sous le signe de la possession. Enfin c'est plutôt une contre-enquête car c'était tout l'inverse dans ma légende. Oui, c'est plutôt la femme qui est soupçonnée d'avoir des philtres d'amour, des potions maléfiques pour envoûter le prêtre, le posséder et ainsi le détourner du chemin de Dieu. Et c'est pour ça que je me me demandais toujours Mais qui a commençé ? Et il m'en a fallu des séances sur le divan pour envisager que ce n'était pas forcément la femme qui tente et détourne l'homme, et que j'ai cet élan-là en moi aussi, sans que ce soit une histoire de Diable. magiques
Donc, dans ce livre-là c'est tout l'inverse mais c'est tout aussi fou. Ça se passe au 17ème siècle, sous le règne de Louis XIII au moment de la contre-réforme, mais ce n'est pas très différent des folies d'aujourd'hui au prétexte de la religion.
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Quelques extraits :
Grandier le lendemain est un peu satisfait d'apercevoir Estelle entrer dans son église. Cela lui donne un sourire de vainqueur. Elle se dirige vers le confessionnal, en jetant des regards derrière elle. Lestement Grandier file prendre place. Agenouillée, elle commence, la voix précipitée et tremblante :
– Mon Père, j'aime un homme.
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On tient mieux dans la haine que dans l'amour. La haine se nourrit du temps qui passe, l'amour s'y use.
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Maddalena. Grandier passe désormais l'ensemble de ses nuits avec elle. Maddalena ne réclame rien, elle jouit de tout. Ils ont fait de l'amour leur rituel, une prière lente des corps chaque nuit. La douceur de sa peau le rassure. Dès qu'ils sont couchés, elle réclame d'une voix presque autoritaire : « Carresse-moi. » Lui l'appelle « ma fabuleuse », recouvrant de ses mains ses fesses et ses seins. Elle était dans l'amour abandonnée, elle sentait en elle désormais les vagues de chaleur qui traversaient son corps, elle les respirait toutes. Elle ondule comme une mer, les yeux clos, la bouche ouverte. […]
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Et quelques mots de l'auteur :
« J'ai aussi voulu raconter l'histoire de cette folie c'est-à-dire de la manière dont on peut être habité par un autre, par une altérité. Et qu'est-ce que c'est que le diable, c'est le nom de ce qui, en nous, est en excès par rapport à nous-même. Et jusqu'à l'invention de la psychanalyse, on tentera de donner des noms à cette force qui, en nous, n'est pas nous. »
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Frédéric GROS - Possédées - Editions Albin Michel - Août 2016