Vendredi dernier, il y avait une nouvelle journée de cours à la fac pour le D.U Psychanalyse freudienne à Paris 7. Et dès qu'elle est arrivée, la prof est montée sur le bureau (c'est une prof différente à chaque fois), elle s'est assise dessus, au beau milieu du milieu, je crois qu'elle a enlevé ses chaussures (je ne voyais pas très bien parce que je m'étais installé tout au fond, près de la fenêtre, pour éviter de faire mon malin comme la première fois, enfin comme quand j'étais au lycée) et puis, tant bien que mal, elle a pris la position du lotus en nous disant : "J'espère que je ne vais accoucher ici, aujourd'hui !"
Oui, elle était enceinte, c'était son dernier cours et comme ça, d'une certaine manière, on était bien dans le sujet :"Sexe, sexuel, sexualité".
Enfin, c'était la sexualité infantile et pas la sexualité adulte, mais l'une imprègne toujours l'autre au fond. Elle a ajouté que si on était là, en cours, attentif et curieux, c'était à cause de notre "pulsion épistémophilique", un désir de savoir, véritable "pulsion de connaissance" qui s'origine aussi dans notre petite enfance.
Son fil d'Ariane pour la journée c'était "le développement psycho-sexuel" avec toutes les "pulsions partielles" de l'enfant. Partielles parce que chacune se rattache à une zone particulière du corps. Par exemple la bouche, la langue, les lèvres pour la tétée. Une zone qui, une fois l'enfant rassasié, devient aussi érogène avec la "tétouille" par exemple. Freud parle de plaisir d'organe et d'auto-érotisme. Et dans cette zone-là, quelques mois plus tard, il y a aussi les dents qui permettent de mordre, "avec le plaisir infini de la morsure" (là, c'est la prof qui commente et qui évoque Dracula).
C'est à la puberté que ces différentes pulsions partielles de l'enfance – oral, anal, phallique –, se rassemblent et s'organisent pour former la sexualité génitale adulte. On en retrouve quand même la trace plus tard dans nos préliminaires amoureux. Et aussi, quand on reste "fixé" sur une seule pulsion, dans la perversion (avec l'exhibitionnisme ou le fétichisme).
Tout ça est basique pour la psychanalyse, mais jusqu'à présent, je ne sais pas trop pourquoi, je regardais ça de loin. Même si je refais tout ce chemin-là aussi sur le divan et pas forcément dans cet ordre-là. Et j'ai trouvé le cours passionnant ! Peut-être parce que la prof nous racontait des histoires – elle se laissait dériver je veux dire –, et parfois elle évoquait aussi son bébé dans son ventre. Elle disait que dans l'utérus l'enfant connaît déjà sa voix, son odeur et même sa langue, la langue de la mère.
À un moment elle a parlé du "fantasme de la scène primitive", cet instant où nous avons été conçu mais auquel nous n'avons pas pu assister. J'ai tendu l'oreille alors parce que ce fantasme-là je vois bien que moi je le mets à toutes les sauces depuis longtemps, surtout depuis que je vais sur le divan aussi. Plus consciemment alors. Ma psy m'encourage aussi. C'est d'ailleurs avec ça que je commence ma bio sur mon blog : "Né d'une alliance bigarrée, il a dans son ADN le goût des opposés et des liens créatifs. Initié très tôt aux désordres des relations humaines, il fait du conseil en organisation son premier métier [...]".
Et c'était surtout la trame de mon autofiction : "Fais le beau, Attaque !" Je voulais dérouler la "scène originaire" comme une énigme en filigrane avec ses différentes facettes, sociale, historique, morale, religieuse, enfin avec toutes les oppositions que mes parents ont fait sauter : le maître et l'esclave, la noblesse de souche et la paysannerie, les ordres et le désordre, etc.
Et donc la prof disait que tout le monde a fantasmé ce moment-là mais que c'est toujours refoulé. Et c'est mieux comme ça parce que sinon on aurait toujours sous le nez la sexualité de nos parents et ça nous empêcherait de penser. De penser à autre chose. Ça m'a fait un choc cette idée-là, cette idée que c'est refoulé. Mais je me suis dit que c'est peut-être pour ça que personne n'en parle jamais. Cette énigme-là renvoie à la mort aussi. Et elle est source d'angoisses. C'est pour ça aussi que c'est plutôt un produit de l'analyse et pour ceux qui n'ont pas peur de fréquenter leur inconscient.
Bien sûr, j'ai arrêté mon autofiction parce que ça finissait par tourner en rond et ça n'intéressait personne au fond mais j'en ai reparlé encore un peu dans l'essai écrit avec Eva cet été : "Érotiser l'entreprise". Parce que le projet de sous-titre c'était "Pulsions, fantasmes et folies douces". On a changé ça avec une accroche moins clinique : "Pour des rapports professionnels sans complexes !".
Je ne sais pas si je pourrais un jour vraiment arrêter ce fantasme ou si ça s'arrêtera tout seul. Et alors peut-être qu'à ce moment-là je pourrais écrire des histoires, des histoires vraiment passionnantes.
Bon, là, j'ai encore écrit sur la scène primitive.
Et d'ailleurs la prof aussi, tout au long de la journée, est revenue sur cette question des origines mine de rien. Elle a évoqué les tragédies antiques qui étaient pleines de cette scène originaire, entre les Dieux. Ça avait une fonction de purge alors.
Elle a aussi évoqué les enfants qui inventent des théories pour résoudre cette énigme. Et là, elle a repris son fil d'Ariane des pulsions partielles : l'oral ("est-ce qu'on peut avoir un bébé si on fait une fellation ? Oui, il paraît que c'est une question qui revient souvent sur Doctissimo) ; l'anal (on dit bien parfois "pondre un bébé" !) ; sadique ("Papa a violé maman") ; scopique (il suffirait de se montrer le plus intime pour avoir des bébés), etc. C'est là aussi que prend source et se développe notre capacité de théorisation.
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En photo : Un beau livre de Pascal Quignard que j'ai aimé ressortir de la bibliothèque : "La nuit sexuelle" - Flammarion - Hors collection - Art - 2007
« Notre vue ne porte jamais vraiment jusqu'à la scène qui nous fit et que nous répétons sans cesse néanmoins au cours des étreintes où les corps s’additionnent et se redissocient. »