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DéC 17

La voie royale vers l'inconscient

Rêve. « Elle se rappelle qu’elle a deux hannetons dans une boîte ; elle veut les mettre en liberté, parce que sinon ils vont étouffer. Elle ouvre la boîte, les hannetons sont tout épuisés ; l’un d’eux s’envole par la fenêtre ouverte, l’autre est écrasé par le battant de la fenêtre, au moment où elle la ferme, comme quelqu’un le lui demandait (manifestations de dégoût). »

C'était vendredi soir, supervision de groupe pour le master coaching, troisième séance que j'ai consacrée au travail du rêve et à l'analyse des rêves. 

Et « le rêve des hannetons » est celui d'une analysante que Freud choisit dans son ouvrage L'interprétation du rêve pour illustrer l'un des mécanismes de formation du rêve : la "condensation" qui permet de dissimuler le désir inconscient. Et donc cette femme, de fil en aiguille, enfin d'une association à l'autre, se souvient que la veille au soir elle a laissé une mite se noyer dans son verre d'eau… et que sa fille, dans son jeune âge, lui avait demandé de l'arsenic pour tuer des papillons dont elle faisait collection… et que des pilules d'arsenic peuvent aussi rendre à un homme la vigueur de sa jeunesse… et qu'elle est angoissée au sujet de son mari parti en voyage mais qu'elle a eu une curieuse idée, oui, que son mari se pende… 

Et si vous voulez savoir pourquoi, c'est à la fin de ce billet, un extrait de L'interprétation du rêve.

Master 2 Coaching - Paris 2 - Supervision en groupe

Séance 3 – 8 décembre 2017

Le travail du rêve et l'analyse des rêves

Sur le fil de l'inconscient et des associations libres, encore

 

1. INTRODUCTION

C'est la troisième séance. Et ce sera sur le fil de l'inconscient toujours. Oui, après les "actes manqués" et "les jeux de transfert" en novembre dernier, et puis les "souvenirs d'enfance-souvenirs-écrans" et les "tournants de vie" en première séance, et tout ça sur le fil des "associations libres" à chaque fois, ce soir je vous propose d'emprunter ce que Freud nommait « la voie royale vers l'inconscient » : les rêves.

Et puis en fin de soirée, nous inspirer de ce travail-là sur les chemins de l'inconscient pour "plonger" dans un cas où il y a du conflit intime ou extime, de la dualité au-dedans ou bien du duel au-dehors, parce que c'est souvent relié tout ça. Regarder, déplier le conflit comme un rêve peut-être, une énigme de l'inconscient…

2. LE RÊVE

Freud : L'interprétation du rêve. Publié fin 1899, mais daté par l'éditeur de 1900. Année choisie, année symbolique.

Près de 700 pages. Un travail méthodique, scientifique, clinique, avec des rêves personnels et des rêves de ses patientes et patients, et tout ça pour poser les bases d'une nouvelle théorie , une théorie de l'inconscient. Et l'inconscient ce sont nos désirs infantiles refoulés.

À la fin de l'ouvrage, chapitre 7, Freud pose sa première topique : Inconscient / Préconscient / Conscient.

Le premier chapitre est une déconstruction. Le rêve n'est pas divinatoire. Oui, si nos rêves sont si baroques, si étranges, c'est qu'il y a des forces antagoniques au fond de nous.

Il procède avec l'analyse des rêves comme dans l'analyse des symptômes, en particulier avec les hystériques « C'est de réminiscence dont souffre l'hystérique » Une lettre à Breuer, un des partenaires de travail de Freud et qui, un beau jour devient, un rival parce que Freud avait besoin de ça aussi pour créer, pour avancer.

Son livre n'a pas eu le succès qu'il attendait. Alors en 1901 : un abstract plus "grand public". Sur le rêve (Gallimard Folio Essais) 

Ce soir, vous partager juste quelques clés pour pratiquer ensemble dans la foulée et puis vous donner envie de rêver peut-être, cette nuit et plus souvent, et aussi dire à vos clients « Ici, bienvenus aux rêves »

  • Le rêve est l'accomplissement d'un désir inconscient, refoulé. Contenu manifeste/contenu latent. Un travail de censure, de dissimulation, déformation qui crypte l'accès au sens. Comme un écrivain dans une dictature, pour tromper la censure. C'est comme une énigme alors. 
  • C'est le rêveur qui peut interpréter son rêve. Sur le fil de ses associations libres
  • Le travail du rêve 

• CONDENSATION. Ça se fixe sur un point nodal qui ouvre sur de multiples chemins. Comme un pictogramme.

• DEPLACEMENT. Décalage entre l'anodin et l'important pour cacher.

• FIGURATION : le rêve se présente en images. C'est bien différent alors de nos pensées et de nos raisonnements du jour : concept/chronologie/cohérence… Comme les symptômes, comme une mise en scène hystérique.

• ELABORATION SECONDAIRE. Mise en récit. Pour que le rêve soit racontable. Et ça permet aussi de tromper la censure.

Et quelques autres clés pratiques issues de ma clinique personnelle ; ce ne sont pas des clés des songes, juste des découvertes au fil du travail sur le divan : 

• Nous sommes l'instigateur de nos rêves : violer, voler, tuer, désirer, bisexualiser...

• Chaque élément du rêve (objet, personne...) est une part de soi.

• Le temps n'existe pas. Le genre n'existe pas. Une femme peut cacher un homme et vice versa. L'anodin cache du latent.

• Un rêve a de multiples sens.

• Analyse "par morceaux"

• Les rêves incluent parfois l'analyste : le transfert du patient sur son psychanalyste. C'est vrai aussi en coaching.

 

Practicum : Atelier des rêves

Un rêveur et un analyste 

• Qui a un rêve ?

• Avec qui voulez-vous l'analyser ?

• Et moi, entre le duo et le groupe 

Donc un rêveur et un analyste qui ne cherche pas à faire son malin. Juste de la contenance pour les associations libres.

  1. Travail en duo 
  2. Quelques mots avec l'analyste
  3. Partage avec le groupe

3. Dualité et duel, l'intime et l'extime- Analyse des conflits

Dans cette deuxième partie de notre soirée, je voudrais nous appuyer sur ce travail des rêves et d'analyse des rêves pour "plonger" dans des cas où il y a du conflit intérieur, du dilemme, de la dualité au-dedans ou du duel au-dehors c'est souvent relié tout ça.

Practicum : comme un atelier des pulsions, ie des conflits intimes. Dualité ou duel

Présupposé : regarder, déplier le conflit comme un rêve, une énigme de l'inconscient : où tout est peut-être dual, condensé, déplacé...

Donc un analysant porteur d'un conflit sensible intérieur ou avec un autre : dualité ou duel

Sur le fil des associations libres. Et comme une enquête policière.

 

A suivre. A la prochaine fois. Ce sera l'année prochaine, le 12 janvier 2018.

Belles fêtes à vous.

 

***

 

Rêve des hannetons. – Comme troisième exemple pour l’étude de la condensation, voici l’analyse partielle d’un autre rêve, très intéressant. Je le dois à une dame déjà âgée, soumise au traitement psychanalytique. Elle souffrait d’accès d’angoisse très pénibles, et, comme il arrive habituellement dans ces cas, ses rêves présentaient quantité de pensées d’origine sexuelle. Quand je les lui fis connaître, elle en fut d’abord aussi surprise qu’effrayée. Comme je ne puis poursuivre l’interprétation jusqu’au bout, la matière du rêve paraîtra fragmentée en plusieurs groupes sans lien visible.

Contenu du rêve : Elle se rappelle qu’elle a deux hannetons 136 dans une boîte ; elle veut les mettre en liberté, parce que sinon ils vont étouffer. Elle ouvre la boîte, les hannetons sont tout épuisés ; l’un d’eux s’envole par la fenêtre ouverte, l’autre est écrasé par le battant de la fenêtre, au moment où elle la ferme, comme quelqu’un le lui demandait (manifestations de dégoût).

Analyse. – Son mari est en voyage ; sa fille, âgée de 14 ans, dort avec elle. La petite lui a fait remarquer, le soir, qu’une mite était tombée dans son verre d’eau ; elle n’a pas songé à l’en tirer, et, le matin, elle a eu pitié de la pauvre bête. Le livre qu’elle a lu, avant de s’endormir, racontait l’histoire d’enfants qui jetaient un chat dans l’eau bouillante et décrivait les soubresauts de l’animal. Ce sont les deux occasions du rêve, elles sont indifférentes en elles-mêmes. Elle continue à penser à la cruauté à l’égard des bêtes. Il y a quelques années, comme elles passaient l’été à la campagne, sa fille avait été très méchante pour les animaux. Elle voulait collectionner des papillons et elle lui avait demandé de l’arsenic pour les tuer. Un jour, un papillon de nuit, qui avait une aiguille dans le corps, vola longtemps encore autour de la pièce ; une autre fois, plusieurs chenilles, qu’elle avait conservées pour voir leur métamorphose, moururent de faim. Plus jeune encore, cette petite fille avait l’habitude d’arracher les ailes des scarabées et des papillons ; tout cela lui ferait horreur aujourd’hui, elle est devenue très bonne.

Ce contraste la préoccupe. Il lui en rappelle un autre, le contraste entre l’apparence et les sentiments, tel qu’il est décrit dans Adam Bede de G. Eliot. Il y a là une jeune fille, belle, mais frivole et sotte, une autre, laide, mais dont les sentiments sont nobles. Il y a un aristocrate qui séduit la petite sotte ; un travailleur dont les sentiments et la conduite sont élevés. On ne peut pas deviner ces choses d’après l’apparence. Qui devinerait qu’elle est tourmentée par des désirs charnels ?

L’année où la petite fille faisait sa collection de papillons, tout le pays était ravagé par les hannetons. Les enfants les poursuivaient, les écrasaient cruellement. Elle vit même un homme qui leur arrachait les ailes et les mangeait ensuite. Elle est née en mai, elle s’est mariée en mai. Trois jours après son mariage, elle a écrit à ses parents combien elle était heureuse, elle ne l’était pas du tout en réalité.

Le soir qui a précédé le rêve, elle avait fouillé dans de vieilles lettres, elle en avait lu quelques-unes aux siens, les unes sérieuses, les autres comiques ; parmi celles-ci, une lettre très ridicule d’un professeur de piano qui lui avait fait la cour quand elle était jeune fille, une autre d’un adorateur de famille aristocratique 137.

Elle se reproche d’avoir laissé entre les mains de sa fille un mauvais livre de Maupassant 138. L’arsenic demandé par sa fille lui rappelle les pilules d’arsenic qui, dans le Nabab, doivent rendre au duc de Mora la vigueur de sa jeunesse.

Rendre la liberté lui rappelle le passage de La Flûte enchantée :

Je ne puis te contraindre à m’aimer,

Mais je ne te rendrai pas la liberté 139.

Les hannetons la font penser aux paroles de Käthchen de Heilbronn (de Kleist) :

« Tu es amoureux fou de moi. » (mot à mot : comme un scarabée) 140.

puis à Tannhäuser :

« Puisque toi, animé d’un plaisir mauvais 141 »

Elle vit dans l’angoisse à cause de l’absence de son mari. La crainte qu’il ne lui arrive malheur en voyage s’exprime en d’innombrables fantasmes diurnes. Ses pensées inconscientes pendant l’analyse déploraient sa « sénilité ». On saisira parfaitement la pensée que ce rêve recouvre, si je raconte que, plusieurs jours avant, comme elle se livrait à ses occupations, elle fut effrayée de penser brusquement à son mari avec cet impératif : « Pends-toi ! » Quelques heures avant, elle avait lu quelque part que lors de la pendaison il se produisait une érection puissante. C’est le désir d’une semblable érection qui, refoulé, se traduisait sous cette forme effrayante. « Pends-toi » signifiait : il faut à tout prix que tu aies une érection. Les pilules d’arsenic du Dr Jenkins dans le Nabab appartiennent au même ordre d’idées ; la malade savait aussi que l’on prépare le plus puissant des aphrodisiaques, la cantharide, en écrasant des scarabées (appelés : mouches espagnoles). Voilà le sens de la partie principale du rêve.

Ouvrir et fermer la fenêtre rappelle une différence essentielle entre elle et son mari. Elle dort la fenêtre ouverte, il dort la fenêtre fermée. Épuisement est le symptôme morbide dont elle s’est plainte le plus tous ces jours.

Notes :

136 [N. d. T.] : Maikäfer (m. à mot = scarabées de mai).

137 C'est ce qui a provoqué le rêve.

138 Il faut ajouter que ces livres sont du poison pour une jeune fille. Elle-même dans sa jeunesse, en a lu de tels.

139 Zur Liebe kann ich dich nicht zwingen, Doch geb' ich dir die Freiheit nicht. Je ne peux pas te forcer à m'aimer, mais je ne te donnerai pas la liberté.

140 Verliebt ja bist du wie ein Käfer mir. (Une autre association conduit au Penthesilée du même auteur : cruauté envers un amoureux.)

141 Weil du von böser Lust beseelt... Parce que vous êtes inspiré par la luxure

L'interprétation du rêve – Sigmund FREUD – PUF

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