« … chaque personne que je croise dans la rue, dans le métro, au pied de mon immeuble, est devenue, depuis quelques semaines, un ennemi. Quelque chose à l'intérieur de moi, ce mélange de peur et de colère qui s'était endormi pendant des années – sous l'effet d'une anesthésie aux apparences de douce somnolence, dont je contrôlais moi-même les doses, délivrées à intervalle régulier –, quelque chose en moi s'est éveillé.
Je n'ai jamais éprouvé cette sensation sous une forme aussi brutale, aussi invasive, et cette rage que j'ai peine à contenir m'empêche de dormir. »
C'est un extrait du nouvel opus de Delphine de Vigan : Les loyautés. Et c'est écrit avec la même encre que Rien ne s'oppose à la nuit. Oui, une encre noire, l'encre des histoires qui se trament dans les coulisses des familles plus ou moins parfaites.
Un livre sur les emprises silencieuses qui se tissent au fil des années d'enfance, sur ces liens invisibles qui nous attachent et nous façonnent, qui nous portent ou nous accrochent. Et sur les arcanes de l'adolescence comme la recherche d'une issue face à tout ça, peut-être.
C'est un beau roman. Outrenoir.
Extraits :
« Quand elle parle de son père, quand elle est obligée par la force des choses de faire allusion à l'homme qui fut son mari et chez lequel il vient de passer une semaine entière, quand elle ne peut pas en faire l'économie, elle ne prononce jamais son prénom. Elle dit "l'autre", "l'enfoiré", "le minable". » page 26
« Je me suis assise et je l'ai observé pendant quelques minutes : entre nonchalance un rien ostentatoire dans sa manière de s'emparer des objets, de laisser les placards se refermer tout seuls, cet agacement à fleur de peau quand je lui parle ou lui pose une question. Voilà j'ai compris qu'il était au seuil, juste au seuil. Voilà déjà que cela gronde et couve en lui comme un virus, c'est à l'œuvre dans chaque cellule de son corps même si rien n'est perceptible à l'œil nu. Mathis n'est pas encore un adolescent, ou plutôt, cela ne se voit pas. C'est une affaire de semaines, de jours peut-être. » page 43
« Est-ce que sa mère a toujours été une femme à fleur de peau, capable de changer d'humeur en quelques secondes, à distance de laquelle il se tient ? Il ne le sait pas. Il a cessé de se blottir contre elle devant la télévision, de passer ses bras autour de son cou pour lui dire bonne nuit, de chercher le contact de sa main sur sa joue. Il a cessé de l'embrasser. Il a grandi et il s'est éloigné de son corps. » page 133
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Les loyautés - Delphine de Vigan - Janvier 2018 - Editions JC Lattès