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FéV 22

Le temps qu'il reste

– Oui, terminez votre phrase !

C'est ma psy qui m'a dit ça comme ça, l'autre soir. Ça m'a bien accroché cette manière de dire qui est aussi une manière de faire. Parce que je ne peux pas m'empêcher de regarder comment elle s'y prend avec moi.

Là, c'était encore au téléphone, tout ça parce qu'elle est bien vaccinée mais elle a toujours peur du virus visiblement. Elle ne peut plus me voir – enfin elle ne veut plus – et moi non plus je ne la vois pas. Alors, pendant les séances, je peux faire des trucs que je ne peux pas du tout faire sur son divan. Me préparer une tisane BIO Relax par exemple.

Mais je n'ai pas vraiment le temps de la boire parce que je me débats toujours avec mes histoires bien tordues, des conflits intimes, mes rêves, plein de ratés... Mon inconscient quoi. Et quand j'ai l'impression que la fin approche, la fin de la séance je veux dire – mais ça renvoie aussi au fait qu'on est tous en train de mourir, depuis notre naissance, quoiqu'il en soit – bref, je titille un instant mon mobile pour regarder le temps qu'il reste.

– Là, c'est presque la fin, non, on va s'arrêter là, je lui dis.

Un peu comme une question alors que je sais que c'est elle qui lance ça d'habitude. Sans vraiment crier gare. C'est sans doute une tentative de reprendre le contrôle sur tout ça mais il faut dire aussi que, comme il n'y a pas vraiment de présence au téléphone, je me déboussole davantage dans mes labyrinthes. Oui, comme une chauve-souris qui soudain ne reçoit plus aucun écho-radar. Donc, là, j'ai essayé de terminer ma phrase mais j'en ai commencé une autre en même temps, et puis encore une autre aussitôt, etc.
C'était toute une histoire qui commençait, une nouvelle histoire que je commençais.

– Là, on va s'arrêter là, elle a fini par me dire parce que tout était hors de contrôle à nouveau.

***

Le cliché, là, c'était le soir d'après. Un bout du ciel un peu girly, au jardin. Et j'ai repensé à toute cette affaire sur le temps qui court, le temps qu'il reste... C'est tout autre chose au fond. Oui, ça replonge à l'origine : dans l'expérience première de l'absence, du « sans contact », littéralement.