Depuis quelque temps, je cafouille ou je défaille a tire larigot visiblement. Peut-être une sorte d'ataxie (*). Tout ça inquiète mon entourage et fait craindre le pire pour le futur, pour mes vieux jours.
Là, par exemple, j'avais acheté des pensées chez Momo le dépanneur du village d'à-côté. Dès que le printemps arrive, ce gars-là installe toutes sortes de plants sur les trottoirs autour de sa supérette. Oui, à foison, entre les tabloïds de L'Yonne Républicaine et les bouteilles de gaz. Les pensées c'était pour remplacer des vivaces au jardin qui, au fil des années, avaient fini par péricliter aussi.
Bref. Je n'avais pris que trois ou quatre plants et ça faisait un peu mesquin dans la jardinière. Alors, le jour d'après, je suis repassé chez le dépanneur en choisir quelques autres. Et c'est là que j'ai buggé visiblement : ce n'était pas du tout des pensées mais des pétunias. Amore Reine des cœurs. Comme souvent, j'avais soudain mélangé les variétés ici. Je ne sais pas trop pourquoi, je fais ça aussi avec les géraniums et les hortensias, les pivoines et les dahlias. Je confonds les noms ou les choses. Ça finit par se voir à l'entour certes, mais ça n'augure pas forcément du pire pour le futur. Non, ce genre de ratages, c'est un peu comme dans la fabrique de nos rêves, si on prend le temps d'y regarder de plus près, ça en dit long sur notre vie inconsciente.
« Nous ne gagnons rien, au point de vue de la compréhension psychologique de la « méprise », en la concevant comme une ataxie, et plus spécialement comme une « ataxie corticale ». Essayons plutôt de ramener chacun des cas dont nous aurons à nous occuper aux conditions dans lesquelles il s'est produit. » C'est Freud qui écrit ça dans Psychopathologie de la vie quotidienne ; au tout début du chapitre 8, Méprises et maladresses. Avec un diapason plutôt que son marteau à réflexes, les clés des portes qu'il confondait parfois, un encrier qu'il laisse tomber, c'est sur lui-même qu'il faisait ses observations et ses analyses. Mais là, moi, c'est sur le divan que j'ai voulu fouiner dans mes défaillances.
– Vous voudriez que je vous rassure ? m'a lancé ma psy.
Rassurer ou bien inquiéter ? Moi-même ou bien l'autre ! Je n'avais pas vu les choses comme ça. Cette affaire-là était « psycho-dynamique » en quelque sorte, inscrite dans un lien particulier sans doute. Et juste avant, ma psy pointait que parler de « défaillances » c'était majorer les choses. C'est vrai, au fond de moi, je vis tout ça plutôt comme une pagaille créative. C'est pareil quand je bricole. Avec du bois ou du fer, du ciment ou l'électricité : c'est forcément chaotique, toujours incertain, avec plein d'errances, de ratages, de faux mouvements, de courts-circuits. Et c'est ça qui ajoute au plaisir.
Je me suis quand même demandé d'où ça me venait toute cette crainte de défaillir en ce moment. Ça semble se passer avec l'autre. À la dérobée mais sous son regard. Et plutôt au jardin souvent, du côté des fleurs. C'est le monde maternel, j'ai pensé. Mais une fois arrivé là, j'ai commencé à tourner en rond sur le divan, à la recherche de souvenirs particuliers. En vain. Comme si je cafouillais justement.
– Il y a eu la tasse de lait au chocolat !
C'est ma psy qui m'a dépanné en quelque sorte en me rappelant cette histoire-là. C'est fou, j'en avais parlé quand j'ai commencé à venir ici, et ça m'avait sans doute calmé parce que ce souvenir est passé aux oubliettes visiblement. Comme une affaire classée. Enfin plus ou moins seulement. Et donc c'était au petit-déjeuner, en enfance, j'aimais bien dépiauter mes rêves de la nuit déjà. Mais je n'étais jamais seul : de là où elle était, ma mère imaginait le pire pour moi. Oui, mon bol allait valdinguer disait-elle. Avec tout le lait et le chocolat dedans. À force de le dire, la catastrophe est bien arrivée. Et moi après ça, j'ai fantasmé que ma mère avait des super pouvoirs. Plutôt maléfiques.
Et puis, c'est sur le divan que j'ai perçu combien tout ça, mes faux pas, mes cafouillades étaient aussi « psycho-dynamiques » justement. Des histoires de tension et de liens au fond.
« Il n'y a pas de rapport sexuel » prétendait Lacan, mais il y a toujours un « rapport maternel ». Oui, premier, inscrit, incorporé, et qui à la longue peut être dénoué...
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(*) Ataxie : étymologiquement, absence d'ordre. Perturbation de l'équilibre et de la coordination motrice.