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JAN 24

Un opéra pour le bébé

Avis de grand frais sur Viking et Fisher... Dépression 1000 hectopascals se décalant vers la Norvège... Là, tout d'un coup, je me souviens d'une époque où j'aimais beaucoup écouter la météo marine.

C'était peut-être sur FIP, en voyage, en voiture, je ne sais plus. C'est embrouillé parce que je n'imagine pas trop les pêcheurs de langoustes écouter cette radio-là. Maddalena, Cantabrico, Iroise...

C'était écrit dans une langue étrangère, toujours mystérieuse. Cromarty, Forties, Tyne et Dogger... Des morceaux de mer, plus ou moins agitée, au large, des histoires de vent et de houle et, tout ça mis ensemble, ça faisait des poèmes. Un peu comme les messages codés sur les ondes de la BBC, juste avant le débarquement. Et pour désigner, l'air de rien, des cibles à détruire.

Ça faisait aussi comme du slam. Parce que la voix de la femme – c'était toujours des femmes je crois bien –, leur voix donc, était chaude, langoureuse, mais sans en rajouter. C'est assez rare.
Et puis un jour, ce genre de bulletin a complètement disparu. Un peu comme on fermerait, on éteindrait un phare pour toujours.
Il faut dire que le vent soufflait à près de 110 km/h sur la Bretagne et on avait le projet de nous baigner quand le soleil reviendrait. Alors Eva regardait de près les prévisions pour les prochains jours. La houle, la température de l'eau, la force du vent, etc.
Moi, ce qui m'intriguait à présent, c'était de retrouver la fréquence radio qui diffusait ces mini bulletins météo dans la langue des pêcheurs. Ou plutôt où et quand j'avais pu entendre ces instants de slam maritime ?
J'ai fouiné dans les archives de FIP et c'était vraiment une fausse piste. Comme un leurre pour m'embrouiller moi-même. Même si sur cette radio-là, il y peu de paroles et elles sont toujours féminines aussi.
En fait, on l'a bien vu, dans « l'inconscient rien ne se perd, tout se transforme » (*) ; et c'est pareil pour les souvenirs : nous ne perdons pas du tout la mémoire de nos souvenirs, nous les camouflons, nous nous les cachons à nous-même. Parce que ça touche une zone affectueusement sensible au fond. On peut retrouver le code de tout ça, mais ce n'est pas donné à tout le monde : il faut aimer se laisser balader, divaguer. Du coq à l'âne.
« Je n'entends plus très bien les voix de femme ! » Ça n'a rien à voir mais, entre deux balades en bord de mer, on a parlé un instant avec le voisin et la voisine. Oui, de la pluie et du beau temps, des huîtres et des homards, et puis de cinéma et de séries télé. Mais pour lui, c'était de plus en plus difficile de regarder des films, disait-il, parce qu'il entendait mal. Surtout les voix féminines. C'est bizarre cette fixation sur la fréquence féminine, j'ai pensé, et c'est là que j'ai retrouvé le temps particulier pour moi des bulletins de météo marine. Oui, c'était le dimanche soir sur France Inter, quelques minutes avant « Le masque et la plume ». Une sorte de salon littéraire et cinéphile. Parce qu'à l'époque les choses qu'on aimait n'étaient pas en réécoute à l'infini. Il fallait être là à l'heure.
Mais ça remonte à bien plus loin, je me dis et je divague encore. Oui, c'est surtout la voix féminine que j'aimais entendre dans les instants météo et j'ai imaginé que c'était peut-être plus ou moins comme ça dans le ventre maternel. Parce que « la voix de la mère est le premier opéra pour le bébé ! ». J'avais entendu ça dans une conférence sur la pulsion d'attachement. C'est à l'origine une langue qui nous est absolument étrangère, énigmatique aussi. Et je me vois là comme un petit marin me baignant au beau milieu du liquide amniotique, bercé par la bande-son du lieu. Et aussi plus ou moins agité selon la météo du dimanche soir...


(*) Les nouvelles de l'inconscient : Rien ne se perd