Oxalique, Citrique, Chlorhydrique... il y a des moments où j'ai beaucoup de goût pour une chose en particulier. Oui, je me concentre soudain sur cette chose-là, dans ces différentes formes, et cela pendant plusieurs semaines. J'en fais un chantier. Là, par exemple, je vois bien que j'ai plein d'attirance pour toutes sortes d'acides.
Ce genre de tropisme – limite maniaque voire psychopathe –, peut faire flipper mon entourage.
Mais c'est mon côté « petit chimiste » qui revient à la surface des jours. Oui, ce n'était pas de l'acide, mais à la sortie de l'enfance, je me souviens, j'avais découvert avec un copain un mélange improbable à base de sucre glace et de désherbant, du chlorate de soude. Incongru a priori, mais bien dosé et comprimé, ça faisait des fumigènes ou des feux d'artifice. Et aussi des explosifs.
Un cocktail mystérieux à l'image de ce qui m'intriguait dans l'alliance entre le maternel et le monde de mon père, entre d'un côté, le dedans, le ménager, les gâteaux, le sucre glace donc, et de l'autre, le dehors, le jardin, ses herbes folles ou sauvages...
Chez mon copain, c'était tout le contraire. Sa mère se baladait souvent au jardin sous la glycine ou au milieu des rosiers grimpant – avec un sécateur –, et le père était chef-cuisinier d'un restaurant étoilé à la lisière de la forêt domaniale.
Bref. Là, avec mes recherches du moment en chimie, j'ai l'impression que l'inconscient s'explore par vague, par strate. Comme s'il n'était possible d'accéder à certaines parts de soi qu'après avoir bien grenouillé aux alentours. C'est alors tout un monde qui s'ouvre ou se redécouvre plus subtilement.
Et, même si je ne suis pas du tout artiste, ça me fait aussi penser aux différentes périodes de certains peintres. Par exemple, pour Matisse, les périodes Fauve, Niçoise, Papiers découpés et aussi Pâtisserie justement. Peut-être que ses variations créatives suivaient le cours d'une enquête intime.
Il y a aussi ce fonctionnement par vagues dans nos rêves. Enfin dans ce qu'il en reste au point du jour. Ces derniers temps, je revenais à moi au petit matin avec un minuscule et unique morceau de rêve : des initiales, un mot bizarre, le fragment d'une image. C'est sans doute la censure qui se fait plus sévère devant ce qui nous semble encore inavouable mais qui, l'instant d'avant, s'est dévoilé en pleine inconscience.
Ainsi l'autre nuit, je me retrouvais dans un coupé. Tout le reste du rêve s'était soudain effacé. Comme auto-nettoyé, à l'acide justement. Alors, comme une poule qui a trouvé un couteau, c'est sur le divan, avec les errances du transfert, que je peux découvrir de quoi il en retourne.
– Ce n'est pas du tout comme une berline, ai-je précisé pour ma psy car je doute qu'elle appréhende les différences entre un coupé sport et un break.
Mais surtout, j'essayais un instant de l'enfumer car je redoutais qu'elle associe ici le coupé au châtré et qu'elle me ramène encore une histoire d'angoisse de castration ou de perte. Je n'ai pas besoin d'elle pour penser ce que je pense, m'a-t-elle rétorqué un jour quand je projetais d'emblée des trucs comme ça sur elle. Mais c'est ça le transfert.
– Une voiture qui n'a pas trois places, elle m'a juste lancé ici.
J'ai réprimé un fou-rire, défensif, parce que cette manière de dire me ramenait d'un coup à l'intrigue du couple : exclusif, excluant, avec enfant unique ou la carte famille nombreuse, avec un coupé ou un break... Et tout le mystère des atomes crochus, une forme de chimie au fond.
Un mot encore sur mon goût du moment pour les acides. J'ai l'impression que tout ça a commencé devant le lave-linge avec Eva. L'autre jour, je l'ai vue préparer un cocktail avec du bicarbonate de soude et du vinaigre ménager. Plutôt du blanc à 14°, c'est plus concentré en acide et la réaction plus intense. Oui, le mélange se fait dans le tambour, en prélavage, mais j'ai essayé de mon côté : quand la rencontre se produit, ça fait des petits geysers, des bulles, de la mousse. Plein de pétillements et de chuchotements.
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La photo, là, c'est toutes sortes d'acides, liquides ou en poudre, pour dégriser, détartrer ou décaper par ici.