Il y a des squares à Paris pas vraiment secrets mais juste discrets où, pendant toute une époque, je prenais le temps de rêver – enfin, tout à la fois déjeuner au soleil et regarder plus ou moins les gens. Parce que ça fait des sortes de sursauts d'inconscience. Oui, des jeux d'ombre ou de miroir, des échos, des allers-retours dans le passé ou le futur... Tout ça nous donne des nouvelles de nous-même. Un jour, à la sortie d'un square un peu caché, Google m'a capté et proposé de laisser un avis. Alors pourquoi pas.
Square Alex Biscare ⭐⭐⭐⭐⭐
Dans ce square-là, un jour, j'ai observé de près un enfant découvrir des pigeons. Il n'arrêtait pas de gueuler : WOUAZÔ ! WOUAZÔ ! Il voulait les attraper visiblement. Mais peut-être ai-je projeté sur lui une part de mon histoire – parce que quand tu regardes vraiment un enfant, tu replonges ipso facto dans ton enfance. Sans forcément le savoir d'ailleurs.
Bref. Il semblait vouloir plumer l'un de ces bestiaux. Rageusement. Un petit criminel j'ai pensé. Mais qui donc aimerait-il étriper ? Car souvent dans ce cas-là, il y a erreur sur la personne.
N'approche pas ! C'est dégueulasse ! lui lançait celle qui semblait être sa mère sur le banc d'à-côté. Ou c'était peut-être la nounou.
Fais gaffe ! Ne touche pas ! elle continuait. Elle aussi gueulait beaucoup. J'ai compris que le gamin s'était identifié à cette manière si particulière de s'exprimer. Une manière d'être aussi.
Une fois les ordres donnés, la femme disparaissait aussi à sa manière. Oui, avec Christophe André sur Petit BamBou, pour méditer en « pleine conscience » parce que c'était la mode à l'époque. Là, elle avait choisi « Crise de calme ».
Alors j'ai montré à l'enfant comment vraiment attirer le pigeon. Avec quelques morceaux de pain. La bête se mettait à danser le mambo. Pas la peine de brailler. C'est là que j'invitais le gamin à se jeter soudain sur le volatile. C'était voué à l'échec mais il pouvait parfois lui toucher les ailes...
Je ne saurai jamais si la nounou était la mère de l'enfant ou bien sa nounou justement. Et j'ai repensé à l'importance de nos premières identifications, les plus profondes, les plus immuables :
« ... le mouvement psychique de l’identification n’est pas distinct au départ des processus somatiques d’ingestion. Ce que l’un refuse, l’autre (le bébé satisfait) se l’approprie : « Je suis le sein » (donc je suis). L'identification est d’abord une incorporation, et celle-ci le prototype de toutes les intériorisations ultérieures. Faire sien ce qui est bon, ce que l’on aime. Être ce que l’on désire, faute de l’avoir.
L’identification est un reste d’amour. »
Les 100 mots de la psychanalyse – Jacques André – PUF
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La photo, là, ce n'est pas dans un square parisien, c'est tout au bord d'un étang pas loin d'ici. Et, pour les séances à distance, je me pose là des fois. Il n'y a pas de pigeons juste des castors.