02
JUN 24

Du gros oeuvre

L'autre jour, quand je me suis allongé sur le divan, la première chose qui m'est venue c'est que j'aurais bien aimé faire un métier manuel aussi. Quelque chose de très physique, j'ai dit.
Il faut dire que juste avant d'arriver, au ras des pavés, j'avais aperçu deux ou trois ouvriers dans une tranchée pour le chauffage urbain. Il étaient aux prises avec des tuyaux et des barres de ferraille, des chaînes et du béton. C'était fugace, mais c'est comme certains rêves : on les efface au réveil et, dans la journée, on trébuche sur une scène de rue, un objet inanimé ou un regard, et par ricochet, une image de ce rêve-là ressurgit soudain. Et avec ça, tout un monde en soi. Ça reste crypté mais ça ouvre une brèche vers l'inconscient.
– Un métier de gros œuvre, j'ai précisé pour ma psy.
– Comme ici, elle m'a lancé du tac au tac.

Sur le moment, je n'ai pas compris, je ne voyais pas du tout le rapport. Au contraire ! Et pourtant, je sais bien que ce qui semble venir d'ailleurs ou d'une autre époque – les rêves aussi –, toutes ces choses que l'on rapporte en séance ont quelque chose à voir avec ce qu'il se passe sur le divan. Parce que l'inconscient fait plein de détours pour se dire.

Bref. Avec cette histoire de métier manuel, même si le travail sur le divan semble complètement aux antipodes, plutôt mental, je me souviens bien de mes premières séances. J'en sortais toujours fourbu, plié en deux ou en quatre, endolori et encore groggy longtemps après. Comme si je revenais d'un combat de boxe ou d'une partie de catch avec ma psy. J'ai fini par comprendre qu'il y avait erreur sur la personne. Empêtré dans les conflits que j'avais fuis ou laissés en l'air, c'est avec moi-même que je me débattais. C'était donc très physique aussi.
Mais là, je butais sur cette histoire de terrassiers et de gros œuvre. Détricoter, démêler ou dénouer ce qui pouvait l'être, fil à fil, patiemment, le travail ici me semblait relever d'un atelier de haute précision. Alors que les ouvriers du chauffage urbain ne faisaient pas dans la dentelle.
Là, je pense à Anna O., l'une des premières patientes de la psychanalyse. Elle comparait la cure par la parole au ramonage de cheminée. « Chemney sweeping ». Et comme j'ai l'esprit souvent « mal placé » – ou simplement tourné vers l'inconscient – je ne peux m'empêcher de voir dans sa manière de dire, derrière le côté libératoire, cathartique, quelque chose de sexuel aussi...

Bref. À ce stade, j'ai préféré laisser tout ça en l'air sur le divan et passer à autre chose.
Sur le chemin du retour, j'ai revu la tranchée. Tous les ouvriers avaient disparu. Et devant ça, avec mes histoires de tricot, de dentelle, ma perception du travail psychique était plutôt maternelle, j'ai pensé. Machine à coudre Singer, machine à tricoter Phildar, je me rappelle, ma mère avait annexé une chambre d'enfant pour en faire son atelier de couture. Et c'est ce monde-là que je tentais encore de détricoter. Fil à fil...
Mon père avait aussi son atelier, un peu excentré, au jardin et c'est avec le fer et le bois que lui se débattait. C'est sans doute pour ça que j'avais soudain besoin de « gros œuvre », de quelque chose de plus viril. Pour tenter d'en finir avec le maternel...

En ce moment, dans la rubrique « suggestions pour vous », Instagram continue de me pousser des vidéos étonnantes. De jeunes femmes aux prises avec du ciment ou de la ferraille. Elles font ça avec dextérité et élégance.

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La photo, là, c'est pas sous les pavés, c'était l'autre jour, sur le quai du RER, à la gare de Moret-Veneux-Les Sablons.