C'était prévu comme ça, c'était la consigne. Chacune et chacun se racontait tour à tour. Avec ce qui lui venait, comme ça lui venait. Sans censure ni tabous. Enfin, jusqu'où c'est possible dans un groupe. Et lui, il écrivait les choses à sa manière. Face au groupe, comme il l'entendait. Un ou deux mots, ou davantage, au feutre de couleur.
Tout ça sur les murs ou les portes du placard — enfin sur des paperboards qu'on avait scotchés, ici et là, Eva et moi. Ça commençait à faire une fresque. Autour de la question de leur désir d'être coach. Le pourquoi de ce désir-là, si possible. Et pas le comment. Parce qu'ils sont préparés, entraînés à tout l'inverse. Aux techniques, aux protocoles. Surentraînés même.
Sauf que le placard ici, c'était une sorte de local technique visiblement. Électrique. Il y avait un pictogramme « Haute Tension » et les portes étaient coulissantes. Alors, tout d'un coup, ça s'est mis à coulisser justement. Oui, de la gauche vers la droite. Et lui qui écrivait sur ces portes-là, il a remis les choses d'équerre. Illico. Et moi alors, je n'ai pu m'empêcher de faire le malin. Irrépressiblement. Pour arrêter un peu l'instant :
— C'est fou, c'est un peu une métaphore de ce qu'il se passe ici. Avec l'inconscient je veux dire. Oui, derrière ce qu'on dit, ce que l'autre en fait, derrière tout le manifeste, il y a une autre scène. Les choses sont à double fond.
Personne n'a relevé. C'était sans doute elliptique à ce stade ou trop tiré par les cheveux peut-être. Et puis surtout, j'avais fait effraction dans leur cercle. Alors ils ont continué le tour de parole et le nuage de leurs mots.
Si je décortique tout ça par le menu, ici, c'est pour comprendre de quoi il en retourne de mon côté. Pour ouvrir le placard en quelque sorte. Parce qu'il y a eu d'autres instants comme ça, dans cette journée. Il faut dire que j'interviens rarement. Tout ça pour leur laisser le plus d'espace possible. C'est une sorte de pacte qu'on a avec Eva. Un pacte pédagogique. Pour faire « contenance », plutôt qu'apporter des contenus.
Mais ce n'est pas très confortable tout ce vide, toute cette liberté dans ce lieu-là. Alors certains demandent des repères ou des protocoles ; d'autres veulent des apports ciblés, théoriques et pratiques, des astuces ; « des tips » ils disent. Tout ça pour l'examen, pour leur diplôme de coach.
Alors des fois, moi j'aime bien craquer, saisir un interstice, ouvrir une brèche, leur prendre la parole, carrément. Ne serait-ce qu'un instant... Et c'est là que ça fuse. Ça s'accélère, ça sort sous forme d'une image, avec une punchline, un hook, un trait d'esprit... Mais c'est souvent déplacé. Et trop sulfureux surtout !
C'est Eva qui a souligné ça quand on a débriefé. Ça fait partie de notre pacte pédagogique aussi. Nous dire, dans l'après-coup, ce qui part de travers. Sans censure. Et c'est pas faux, le côté cru, sulfureux.
— Le coach c'est un peu comme un doudou ou un punching-ball, un sextoy ou une serpillière, j'ai dit dans une autre séquence.
C'était pour pointer les jeux de transfert en coaching — agressifs, tendres ou érotiques quoiqu'on en dise. Là, certains ont pas mal réagi soudain. Surtout au sujet de la serpillière. Et j'ai évoqué le balai à franges. Comme pour ajouter un peu au trouble. Eva aussi. Elle a parlé un instant d'un combo spécial « seau-turbo + balai à franges ».
Bref. Je me suis refait le film de ces différents moments car ça semblait quand même bien compulsif. Électrique, littéralement. Et avec des effets indésirables au final.
J'ai demandé à ChatGPT un tableau clinique du « syndrome de la Tourette ». Oui, Eva m'a fait aussi un retour sur cette fréquence du trait d'esprit. Peut-être que j'avais cette maladie-là ? Dans une version plus ou moins larvée ?
Sur le coup, je me suis demandé si c'était du lard ou du cochon et c'est là que j'ai senti les effets indésirables de cette forme d'humour. Ça décape, ça pique, ça blesse... Mais, une fois le coup accusé, plutôt que ruminer, j'en ai fait une matière à penser.
« Le syndrome de Gilles de la Tourette est un trouble neurologique chronique débutant dans l’enfance (souvent entre 5 et 10 ans), caractérisé par des tics moteurs et vocaux multiples, souvent irrépressibles et involontaires. Ces tics peuvent s’intensifier sous stress ou émotion, avec parfois des impulsions verbales soudaines ou inappropriées, mais ils ne relèvent pas d’un choix conscient : ils traduisent une tension interne difficile à contenir. »
J'ai aussi demandé au chatbot de creuser la question de la coprolalie, ce surgissement brutal de paroles crues, sur lequel les gens se focalisent avec ce syndrome :
« Kopros (κόπρος) : excrément, fumier. Lalia (λαλιά) : parole, discours. Littéralement : « parole d’excrément », ou plus sobrement : « parole sale ». Ça met en scène le rejet, le déchet, ce qui doit rester hors champ — autrement dit : le refoulé à l’état brut, mais mis en bouche. »
Bref. Stress, tensions internes, impulsions irrépressibles... C'est surtout ça que je vivais moi, au fond. Mais tout ça ne datait pas d'hier — enfin pas de mon enfance a priori. C'était plutôt aujourd'hui, face à un grand groupe. Avec le besoin de réaliser une performance alors. Oui, je voulais donner le goût de ce qui se trame dans les coulisses de la psyché. Le goût de l'inconscient. À tout prix.
Et, pour ça, j'intervenais sur une fréquence particulière de l'inconscient justement : le trait d'esprit. « Der Witz » disait Freud. Condensations, déplacements, métaphores inédites, c'est comme dans nos rêves, la nuit. Au beau milieu de nos conflits intimes, empêtrés dans nos désirs et nos tabous.
Et j'ai pas mal grenouillé aussi dans le texte de Freud « Le trait d'esprit et sa relation avec l'inconscient ». Décharge pulsionnelle déguisée. Transgression. Bonus de plaisir plus ou moins partagé. Etc. Tout ça peut sembler théorique, mais ce détour m'a soudain replongé dans mon enfance.
En fait, cette manière de dire, d'épingler, de balancer des « crapauds » parfois, c'était bien ça en famille. Mais à l'envers en quelque sorte. Oui, une composante de la langue maternelle. Ça faisait partie des us et coutumes du milieu. Je ne crois pas que j'étais la cible directe des piques qui fusaient sans crier gare et sur le vif. C'était plutôt ma sœur et mes frères, dans mon souvenir. J'étais juste le témoin de tout ça, mais ça revient au même au fond. Oui, par le jeu des identifications. Ultra-sensible aux piques. D'un côté comme de l'autre, piqué et piqueur.
Encore un mot. J'ai repensé au syndrome de La Tourette. Certes c'est cru, ça claque, mais avec les images, les punchlines, les hooks, il y a dans ma manière de dire, une forme de poésie quand même. Et aussi un rythme. En fait, pour moi, ça sonne comme du rap plutôt qu'une maladie. Mais c'est vrai qu'à haute dose ça fini par saturer cette fréquence-là. Et je ne sais pas trop si les coachs aiment le rap ?
Bref. Je vais retourner « grenouiller » dans mes souvenirs, dans les eaux troubles de mon théâtre intime et familial. Là où il y a pas mal de crapauds.
***
Cette journée, c'était pour un Diplôme Universitaire de coaching d'entreprise — la dernière séquence d'un parcours d'initiation à la psycho-dynamique en coaching : jeux de transfert, pulsions & défenses, désirs et ratés en séance.
Et la photo, là, c'est dans la mare d'ici. J'ai dû pas mal me pencher pour ce cliché-là.