Elles se battent en se portant des coups bas. Dans les couloirs ou les bureaux. Combat non sanglant, mais cruel et toxique. Juste des regards et des mots.
Elle en parle à chaque séance, enragée et dépitée. Rictus au coin de ses lèvres. Grimace qui chahute son visage. Elle voudrait comprendre ce qui l'agite ainsi.
La première fois, j'ai suggéré que cette femme, sa collaboratrice, était peut-être une ombre, un reflet de ce qu'elle rejette au fond d'elle. Part intime, méconnue ou cachée ?
Intriguée, elle s'est alors transformée en chasseuse d'ombres. Mais elle est revenue bredouille de l'entre-séance. Et, là bas, le duel avait repris de plus bel.
Aussi ai-je évoqué le goût de certains humains pour les jeux sado-maso. Et comment faire souffrir l'autre, c'est aussi se sadiser soi-même. La guerre s'est interrompue quelques jours. Trêve éphémère. Le combat est devenu plus sournois, plus douloureux.
Elle retient ses larmes aujourd'hui. Larmes d'impuissance cette fois. Ses tâches de rousseur sur son front, sur son nez, me donnent envie d'un pas de côté, à la recherche d'une histoire familière :
- Avez-vous une sœur ?
- Non, je suis une enfant unique !
Alors, nouvelle tentative au pays de ses ombres :
- Alice, que détestez-vous le plus chez cette femme ?
Silence, puis ces mots jetés avec rage :
- Elle bulle, elle glande… Et, quand elle ne fait rien, elle se cache !!!
Et, de nouveau, cette moue de dédain qui m'accroche comme une énigme :
- Qui d'autre, tout proche de vous peut-être, faisait cette étrange grimace ?
Alors, soudain, une puis deux larmes roulent sur ses joues et elle murmure :
- Je me cachais dans les sapins, au fond du parc, quand j'étais enfant. Dans notre tribu, ne rien faire était hors-la-loi !
Naissance de la douceur sur ses lèvres ; elle poursuit :
- J'aimais contempler les nuages entre les branches avant d'être chassée et de repartir m'acharner.
Et elle prend conscience, en souriant, qu'elle a choisit un métier pour trouver du travail à ceux qui en cherchent !
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