J'ai échangé ici sur les GAPs comme source d'innovation pour les coachs.
Et j'ai partagé ici aussi les apports étonnants de ce "cocktail" pour les professionnels de santé sur des enjeux sensibles et douloureux : les plaintes des familles de patients âgés contre le corps médical, impuissant face à l'inéluctable : la vieillesse, la finitude…
Après l'interview d'un "binôme médecin et cadre soignant", notre projet d'article pour la revue Gestions Hospitalières s'enrichit de l'expérience de la Directrice Médicale de l'hôpital.
Laurence LUQUEL nous apporte ici son regard sur les coulisses et les prémices du changement.
C'est comme si, en matière de changement humain, la "médecine traditionnelle" (diagnostic, prescription…) pouvait s'enrichir aussi d'approches naturelles : l'émergence, la co-création…
« De la plainte au plaisir d'innover ensemble »
Docteur Laurence LUQUEL, Directrice Médicale de l'HPGM.
Projet d'article pour Gestions Hospitalières
Laurence LUQUEL partage ici son expérience des changements entrepris aux Magnolias, sous l'impulsion de la Directrice Générale. Des changements humainement complexes et à la croisée de différentes "familles" professionnelles : l'équipe de direction, les médecins, les cadres soignants, les infirmières... Elle prend ici l'exemple des Groupes d'Analyse de Pratiques pour illustrer les découvertes et les avancées, chemin faisant...
La plainte comme un symptôme
J'ai pris mes fonctions aux Magnolias en juin 2005, avec l'envie d'innover en gériatrie, une envie impulsée aussi par Evelyne GAUSSENS, Directrice de l'HPGM.
L'ambition était forte et les projets de changement déjà nombreux : aller au-delà de la certification qualité pour créer une dynamique d'excellence, animer un projet de soin autour de chaque patient âgé, mettre en actes "la philosophie de l'humanitude"...
Et, en même temps, cette dynamique semblait se heurter à une inertie.
J'ai eu alors envie de rencontrer chacun, comprendre le fonctionnement des équipes, poser un diagnostic...
J'ai peu à peu réalisé que les médecins et les cadres soignant travaillaient certes autour de chaque patient, mais plutôt les uns à côté des autres, sans vraiment connaître les approches et les contraintes de chaque métier.
Le malade était "objet" de soin et, en même temps, les différents professionnels et les équipes ne semblaient ni se rencontrer, ni se relier autour de la personne âgée vue comme "sujet".
La confusion se développait ; les plaintes des familles se multipliaient comme un indicateur de la difficulté de se rencontrer pour construire un projet de soins partagé par tous les acteurs : l'équipe médico-soignante, le patient et sa famille.
La plainte circulait aussi au cœur de chaque "famille" professionnelle, médecin ou soignant, comme le symptôme d'un mal-être plus profond dans l'établissement...
Quand le mal-être freine l'innovation
Travailler sur les plaintes des familles était une priorité de l'équipe de direction. Nous avions conscience que chaque plainte questionnait les pratiques professionnelles et parlait aussi de la souffrance de la famille devant la vieillesse ou la mort d'un parent.
Chaque plainte mettait aussi en cause nos modes de management et, en même temps, nous confrontait à notre impuissance face à une angoisse existentielle, la finitude.
Notre projet n'était donc pas de diminuer le nombre de plaintes mais d'apprendre à écouter, dialoguer avec la famille et transformer chaque plainte en source de progrès.
Quand nous voulions communiquer sur ces enjeux avec les médecins et les cadres de soin, une spirale d'incompréhension s'installait : analyser une plainte générait un sentiment de culpabilité ; se former pour mieux communiquer suscitait le rejet ; prendre du recul sur ses pratiques professionnelles était comme un déni du professionnalisme !
Une autre plainte émergeait et, avec elle, le besoin de reconnaissance du corps médical et des cadres.
Comment changer notre manière de changer ?
Je nous voyais dans une impasse : d'un côté notre équipe de Direction avec le désir d'innover et, de l'autre côté, les médecins et les cadres avec la peur d'être disqualifiés. D'un côté un diagnostic clair sur notre difficulté de communiquer et de l'autre des tentatives de solutions inefficaces...
Pour sortir de l'impasse, j'ai eu une intuition : j'avais expérimenté le coaching individuel dans mon poste précédent pour traverser une situation humainement difficile. Le coach m'a permis ici de prendre du recul et d'utiliser mes propres ressources pour changer.
J'ai pensé qu'André de Châteauvieux pourrait aussi nous accompagner pour apprendre et innover ensemble.
Nous avons alors changé notre manière de changer ! Nous avions déjà créé des binômes, médecin et cadre soignant, pour favoriser le travail en équipe ; nous avons proposé à ces binômes d'expérimenter le "coaching en groupe" : un atelier d'une demi-journée, une fois par mois, au printemps 2006.
Nous avons lâché prise sur notre objectif et aussi sur la méthode. Ainsi, les plaintes restaient l'enjeu de ces ateliers mais sans la "prescription" de changer : chacun apportait le récit d'une situation difficile ou d'une plainte et le groupe partageait autour de ces récits.
J'ai aussi oublié mon projet de former les binômes dans ces ateliers : plutôt qu'apprendre de nouvelles pratiques managériales, chaque groupe était reconnu compétent pour créer ses propres solutions et expérimenter.
Les premiers signes d'une transformation
Je n'ai pas cherché à connaître le contenu des séances qui restait confidentiel, comme en coaching individuel.
A la fin du cycle de trois séances, nous avons échangé sur l'expérience vécue et les apprentissages avec chaque groupe. Les binômes avaient pu mettre des mots sur leur malaise, leurs craintes sans être jugés ou évalués. Les ateliers étaient comme un lieu ressource où chacun s'était rencontré, avait découvert l'autre à travers ses résonances, ses besoins, ses différences, ses difficultés communes...
Chacun a aussi réalisé qu'il était acteur dans la plainte : dialoguer avec une famille sans se sentir coupable, savoir deviner les prémices d'une plainte à travers les jeux relationnels avec les soignants...
L'inertie semblait derrière nous. Une nouvelle énergie circulait.
Ne pas en rester là !
Comme l'explique le docteur FABRE et Jeanne-Françoise COPPOLA (lire l'interview), la communication et la coopération se sont développées à la fois au sein de chaque binôme et avec les familles. Le nombre de plaintes et aussi le stress de la confrontation ont peu à peu diminué.
Et les binômes ne voulaient pas en rester là ! Contre toute attente, ils étaient demandeurs d'une nouvelle "formation" avec "leur" coach.
A l'automne 2007, nous avons lancé un nouveau cycle d'analyse de pratiques. Avec un nouvel enjeu : améliorer des indicateurs sensibles pour l'hôpital et les patients comme la durée moyenne de séjour, l'absentéisme du personnel soignant...
Dès le premier atelier, le groupe a créé un mode de pilotage inattendu : un staff hebdomadaire entre les binômes responsables pour coordonner les activités entre les équipes. Nous avions essayé de mettre en place des réunions de staff mais sans succès ! J'interviens aujourd'hui à la demande pour arbitrer des décisions clés.
Une transformation semble en marche. Nous avançons et nous apprenons ensemble...