11
OCT 07
L'entreprise est une scène propice à la mise en actes de nos symptômes : pouvoir, compétition, frénésie, solitude…
En cette rentrée, la presse, la télé et le cinéma se font l'écho de ces désirs de toute-puissance et des nouvelles formes d'impuissance au travail…
"Comment l'entreprise nous change" ! C'est le dossier du magazine Enjeux les Echos d'octobre : Les dirigeants rêvent du cadre idéal et, pour y parvenir, cherchent à façonner le physique et le moral de leurs salariés. Rester soi-même au travail ? Mission impossible.Au sommaire :
• Personnalité : Les carrières formatent les caractères
• Performance : La DRH exige des cadres "zéro défaut".
• Analyse : Le travail, lieu où s'abîment les identités.
Avec l'interview de Jean-Claude Kaufmann : "Le salarié se construit dans les interactions quotidiennes avec ses collègues , ses chefs". Christophe Dejours : "La nouvelle organisation du travail a fait surgir des pathologies de la solitude". Richard Sennett : "La didacture du court terme a des conséquences néfastes sur les relations aux autres"
Voici un extrait de la partie "Analyse" : l'interview de Richard SENNETT, sociologue et historien américain.
"Dans un capitalisme moderne, le travail est au fondement de l'identité. Mais ce fondement est devenu obscur ces dernières années. D'abord parce que l'on change fréquemment de métier, en particulier dans l'univers high-tech, que j'ai beaucoup étudié. Quand vous travaillez dur à acquérir une compétence, une maîtrise presque artisanale de votre métier et que l'entreprise vous demande régulièrement de l'abandonner pour en développer une autre, cela ne construit pas le caractère.
Les managers que j'ai interviewés ne veulent pas être à ce point des caméléons. Pourtant, ceux-ci étaient enthousiastes, il y a quinze ans, à l'idée d'abandonner une certaine bureaucratique pour des projets à plus court terme. Mais ce court-termisme a des conséquences néfastes sur la construction de soi : comment développer une histoire de vie dans une société composée d'épisodes et de fragments ? La capacité à laisser en arrière son passé, l'acceptation de la fragmentation sont deux traits de caractère qui permettent de bien survivre dans ce système : je les ai rencontrés chez les entrepreneurs et cadres présents au forum de Davos. Mais de manière générale, ils sont très peu partagés, même parmi les jeunes générations.
Ce court-termisme a aussi des conséquences négatives sur les relations aux autres. Il entame la confiance, la loyauté et l'engagement mutuel, toutes valeurs importantes dans la sphère privée mais qui ne permettent pas de réussir dans l'univers professionnel actuel."
Richard Sennett prend ses sources chez Hannah Arendt, Michel Foucault… Quelques uns de ses ouvrages :
- Le travail sans qualité : les conséquences humaines de la flexibilité, Albin Michel, 2000.
- Respect : de la dignité de l'homme dans un mode d'inégalité, Hachette, 2005.
- La culture du nouveau capitalisme, Albin Michel, 2006.
En savoir plus : Enjeux Les Echos
Regarder aussi l'émission "Ce soir ou jamais" diffusée le 3 octobre sur France 3 : Entreprise lieu de souffrance ?
avec Alain Touraine, Christophe Dejours, Marie France Hirigoyen… et aussi Nicolas Klotz, cinéaste, auteur du film "La Question Humaine".
L'émission est disponible en ligne. Lire aussi les regards croisés et la glose mutine les commentaires critiques des internautes !
Lire aussi : "L'entreprise sur le divan" avec Didier Toussaint.