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AOU 07

Désirez-vous m'accompagner ?

C'est une question qui surgit parfois à la fin d'une première rencontre. La question me cueille par surprise et pointe une hésitation encore informulée.
A la recherche de son coach, le client perçoit ce flou et questionne alors sans détour.
Mon hésitation est le signe d'une résonance, d'une projection ou d'un jeu transférentiel que je ne sais pas encore reconnaître.
Je sais seulement, à cet instant, que ce client-là vient chatouiller des démons personnels.
Partons à la rencontre de quelques diables…
Guillaume est directeur financier dans la filiale française d'un groupe industriel. Il rejoint l'équipe de direction du groupe.
Il a demandé un coaching pour "réussir sa prise de poste" dans cet état-major. Le DRH lui propose de rencontrer deux coachs.
Je l'accueille dans mon cabinet. Guillaume a la cinquantaine élégante. Il me raconte son histoire professionnelle : une succession de belles réussites dans des grandes entreprises en changement, une dynamique de conquête et de "pionnier"…
Je questionne l'utilité du coaching :
- J'entends que vous savez franchir des caps importants, changer de métier avec aisance... Et aujourd'hui, l'équipe de direction vous coopte ; alors, pourquoi un coaching ?
- Pour m'apporter les clés de votre métierdes clés que je n'ai pas encore…
Je sens la confusion s'installer :
- Ce serait alors une formation aux outils du coach ?
- Cela dépasse le besoin d'outils. J'ai toujours avancé seul. Et j'ai aujourd'hui envie d'intégrer les autres dans ma stratégie. Les coachs ont un savoir-être, un art de la relation, que je ne maîtrise pas encore.
- Et pourquoi aujourd'hui ?
Guillaume m'observe. Je crois percevoir une légère gênePuis, après un silence :
- Je côtoie les dirigeants mais je n'appartiens pas à leur univers…
- Et…
- Et j'aimerais apprendre à utiliser leurs codes, leurs modes relationnels…
La demande est claire ! Je me sens maintenant mal à l'aise avec cette demande qui rime, pour moi, avec "instrumentation".
- Qu'attendez-vous de moi ?
- Des clés pour mieux les comprendre, interagir avec eux
Mon questionnement sur la demande nous fait maintenant tourner en rond ! Je suis tiraillé entre l'envie de nommer mon inconfort ou explorer un autre champ : la question de l'identité, de l'appartenance Guillaume me sort du dilemme :
- Vous êtes référencé comme coach mais… êtes-vous vraiment coach de dirigeants ?
La question me coupe le souffle. J'accompagne des homologues de Guillaume et non pas des "hauts dirigeants". Je perçois ici comment la "classification" peut exclure, créer un sentiment d'imposture. Je réponds alors sans détour :
- Vous seriez mon premier client appartenant à l'état-major d'un grand groupe.
- Alors nous pourrons apprendre et avancer ensembleMais vous-même, désirez-vous m'accompagner ?
Je suis encore sous le coup de la question de la légitimité : elle a une résonance profonde dans un champ bien personnel. Je partage alors ce qui est présent pour moi :
- Guillaume, j'ai une double appartenance. Et, j'ai appris que vouloir s'approprier les signes d'une classe sociale ne permet pas d'appartenir à cette classe. Votre DG vous choisit peut-être pour ce qui est singulier en vous

Notre rencontre a duré moins d'une heure et m'a interpellé longtemps après : avais-je envie d'accompagner Guillaume ?
Je récréais le dilemme de notre rencontre, dans un dialogue intérieur. D'un côté, j'invalidais la demande de Guillaume : transmettre un art de la relation pour mieux appartenir au monde des dirigeants, une forme de "coaching du savoir-être".
D'un autre côté, j'avais envie d'emmener Guillaume dans un "coaching de la singularité", à la découverte de sa différence.
Et, en même temps, je percevais ici comment mon roman familial façonnait mon modèle du monde, ma pratique…

Lire la suite sur le site de Médiat-Coaching : Partie 1 - Partie 2

Eclairages didactiques :
  • Projections et jeux transférentiels : Lorsque nous nous rencontrons ce sont souvent nos projections qui se croisent, et ainsi les humains se rencontrent rarement ! Au-delà des projections, il se crée des phénomènes transférentiels dans la relation de coaching : le client projette sur le coach des figures fantasmées (transfert) et le coach projette en retour des sentiments et pensées qui entretiennent le transfert (contre-transfert). Ces phénomènes se répètent et agissent la relation en profondeur, parfois à l'insu du coach ; d'où l'exigence d'un travail sur soi pour les reconnaître et utiliser ce matériau en conscience. En effet, contrairement à la psychanalyse orthodoxe, le coach peut nommer le transfert et exploiter délibérément son contre-transfert ; le client peut alors expérimenter d'autres manières d'interagir.
  • Irvin D. YALOM, psychothérapeute et écrivain américain, partage sans masques sur ses peurs, ses succès et ses échecs dans sa pratique. Dans le "Bourreau de l'amour", il raconte une "sacrée épreuve en matière de contre-transfert" avec Betty, une femme obèse. C'est l'une des histoires de psychothérapie où YALOM nous montre comment le client et le thérapeute sont deux "compagnons de route", deux êtres humains qui traversent ensemble les pressions existentielles. Ses livres sont écrits et se lisent comme des romans ; ils sont une source inépuisable d'enrichissement.