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JUN 09
« Je veux m'installer en indépendant. J'ai tout préparé pour quitter l'entreprise et créer mon cabinet. Mais je n'arrive pas à franchir le pas ! »
Il pose des mots sur son histoire : il est DRH et a déjà passé six ans dans cette entreprise. Aujourd'hui il s'y ennuie. Il est aussi l'auteur d'ouvrages sur les ressources humaines.
Il est là depuis quelques minutes. C'est la première séance. Il me dit qu'il a fréquenté le divan pendant plusieurs années. Quelque chose d'enveloppant et doux s'installe entre lui et moi. Et si je retenais un instant le fil qui se tisse et nous enveloppe doucement ? Suspendre ce fil pour le mettre en relief. Je lui demande : « Qu'attendez-vous de moi ? »
Il me regarde étonné, comme s'il reprenait ses esprits, puis :
« - J'aimerais comprendre pourquoi je n'arrive pas à franchir le pas ?
- Comprendre comment quitter le besoin de dépendance ? »
Il fronce les sourcils :
« - Pourquoi parlez-vous de dépendance ?
- Car vous parlez de votre envie d'indépendance. Et cette envie ne se met pas en acte. »
Il reste silencieux. Je lui avais proposé de prendre le temps d'une rencontre préalable. Mais il voulait commencer « sans préalable ». Il reprend :
« - C'est vrai que l'entreprise entretient un lien nourricier. Un lien qui finalement invite au confort de la fusion et de la dépendance !
- Dans notre imaginaire, l'entreprise est parfois comme une mère nourricière. Il est parfois difficile de la quitter...
- Mais aujourd'hui cette mère symbolique me pousse doucement dehors !
- Il y a aussi quelque chose de très confortable qui s'installe ici avec vous.
- Oui, pour moi aussi !
- Vous créez aussi ce lien. De combien de séances avez-vous envie pour franchir le pas ? »
Il hésite et me renvoie la question :
« - Je ne sais pas à quelle vitesse nous avancerons ?
- Dans combien de temps voulez-vous me revoir ?
- Toutes les semaines, si je le pouvais ! Que me proposez-vous ?
- Je vous propose de nourrir d'abord votre besoin de dépendance. De pleinement le nourrir mais en dehors d'ici et de l'entreprise que vous voulez quitter.
- Comment faire ?
- Je ne sais pas. »
Il reste silencieux. Il semble retenir une émotion. Puis il me confie les pensées qui lui viennent : quitter l'entreprise est difficile car c'est répéter le rejet d'un univers sécurisant dont il a besoin mais qui finit toujours par l'étouffer. Un scénario douloureux qui est aussi la trame de son histoire personnelle. Je poursuis sur la piste du paradoxe :
« - Il y a peut-être, autour de vous, une autre mère symbolique moins étouffante. »
Il est touché. Il évoque un instant son couple. Puis revient sur le champ professionnel :
« - Il y en aurait même plusieurs ! Je travaille avec des cabinets qui me sollicitent souvent pour des conférences et des ateliers.
- Ce serait alors multiplier les liens de dépendance !
- Oui mais une dépendance consciente, choisie, temporaire, pour franchir le pas !
Il est reparti avec l'envie de proposer à ces cabinets de fonctionner en partenariat ou même en sous-traitance.
Et, quand il a franchi le pas de la porte, il m'a confié : « Avec ma compagne aussi, la rupture n'est peut-être pas la seule issue pour sortir de la fusion ! »